Un peu de cinéma pour l'automne... Nous avons vu récemment une oeuvre passionnante : A propos d'Elly, film iranien d'une incroyable intensité. Il y a un je ne sais quoi de Sautet en Iran dans ce film, puisque le réalisateur met en scène l'histoire d'un groupe d'amis de la bonne bourgeoisie de Téhéran, hommes et femmes a priori libérés et bientôt rattrapés par la réalité d'une société verrouillée de l'intérieur. Partis passer un petit week-end sur les bords de la mer Caspienne, ces hommes et ces femmes ont emmené avec eux l'institutrice d'un de leurs enfants, avec le projet de la mettre en relation avec l'un des hommes célibataires du groupe. Bien entendu, rien ne se passe comme prévu, d'autant que le personnage autour duquel s'organise cette histoire, l'Elly du film, disparaît soudain sans laisser de traces... Des choses de la vie persanes et amères.
mercredi 11 novembre 2009
samedi 7 novembre 2009
Chute de mur
Interview de l'ancien et dernier Président de l'Union Soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, jeudi dernier, 5 novembre, par Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien conseiller de François Mitterrand. Védrine semblait littéralement boire les paroles de Gorbatchev, un peu à l'ouest, si l'on ose dire... Evocation de moments historiques (la mise en place de la perestroika et de la glasnost, écroulement du bloc de l'Est, implosion de l'URSS), mais aussi instants nébuleux (Hubert Védrine, à un moment donné, rectifie : "L'Urss ?". Et Gorbatchev embraye sur la "Grande Russie"...). Védrine ose peu souvent recadrer l'illustre interlocuteur, à la notable exception de la Guerre des Etoiles, que Gorbatchev dit avoir pris très au sérieux...
Un regret : que Védrine n'ait pas posé la question des bilans (que pense Gorbatchev de son héritage et de l'évolution de la Russie vers le régime actuellement en place ? Quelle opinion a-t-il du règne économique néo-libéral actuel, lui qui semble avoir voulu dirigé l'Union Soviétique vers une social-démocratie à l'allemande ?).
Un regret : que Védrine n'ait pas posé la question des bilans (que pense Gorbatchev de son héritage et de l'évolution de la Russie vers le régime actuellement en place ? Quelle opinion a-t-il du règne économique néo-libéral actuel, lui qui semble avoir voulu dirigé l'Union Soviétique vers une social-démocratie à l'allemande ?).
samedi 31 octobre 2009
Que se passe-t-il à la télévision ?
Que se passe-t-il pour que la télévision parle, enfin, du monde et des (vrais) problèmes du monde ? La semaine écoulée a vu débouler, en effet, sur les écrans de France 3, presque en "prime time", un excellent et fort pertinent documentaire : La mise à mort du travail, signé Jean-Robert Viallet.
Soit une immersion, sous forme de triptyque, dans des entreprises mondialisées, des employés jusqu’aux actionnaires : “La dépossession“raconte le pouvoir des actionnaires, “L’aliénation“ décrit les folles manipulations du management, et “La destruction“ conclut sur les effets violents de cette gestion des ressources humaines sur les hommes et les femmes qui travaillent.
Rare documentaire qui ne questionne ni plus ni moins que le capitalisme néo-libéral de ces 30 dernières années. Et qui montre surtout comment les nouvelles méthodes managériales et organisationnelles mettent à mal travail autant que salariés. Voilà, se prend-on à rêver, qui devrait faire germer de sérieuses interrogations dans les cerveaux de tous les managers qui, pour répondre aux seules exigences fixées par leurs actionnaires, poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites.
Rarement avaient été montrés et dénoncés, avec autant d'acuité, les dégâts du nouveau management mondialisé. Le médecin et psychiatre Christophe Dejours, qui intervient dans le documentaire, met en cause l'inhumanité d'un système qui, à ses yeux, flirte dangereusement avec le totalitarisme : "Il y a une machinerie très puissante qui est mise en oeuvre, et qui a avec le totalitarisme ce point commun qu’on traite l’humain comme quelque chose d’inutile, d’interchangeable."
Soit une immersion, sous forme de triptyque, dans des entreprises mondialisées, des employés jusqu’aux actionnaires : “La dépossession“raconte le pouvoir des actionnaires, “L’aliénation“ décrit les folles manipulations du management, et “La destruction“ conclut sur les effets violents de cette gestion des ressources humaines sur les hommes et les femmes qui travaillent.
Rare documentaire qui ne questionne ni plus ni moins que le capitalisme néo-libéral de ces 30 dernières années. Et qui montre surtout comment les nouvelles méthodes managériales et organisationnelles mettent à mal travail autant que salariés. Voilà, se prend-on à rêver, qui devrait faire germer de sérieuses interrogations dans les cerveaux de tous les managers qui, pour répondre aux seules exigences fixées par leurs actionnaires, poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites.
Rarement avaient été montrés et dénoncés, avec autant d'acuité, les dégâts du nouveau management mondialisé. Le médecin et psychiatre Christophe Dejours, qui intervient dans le documentaire, met en cause l'inhumanité d'un système qui, à ses yeux, flirte dangereusement avec le totalitarisme : "Il y a une machinerie très puissante qui est mise en oeuvre, et qui a avec le totalitarisme ce point commun qu’on traite l’humain comme quelque chose d’inutile, d’interchangeable."
samedi 17 octobre 2009
La république des potes
La dernière blague en date vient de tomber ces jours derniers : à tout juste 23 ans, en cours d'études (contrariées, semble-t-il), Jean Sarkozy, fils de..., est propulsé candidat à la présidence de l'EPAD. Les commentateurs parlent de népotisme, de tentative de mise en place d'une dynastie.
Pour un couple de chercheurs spécialistes de l'univers et des codes de la grande bourgeoisie, Monique et Michel Pinçon, auteurs des Ghettos du gotha, "Sarkozy, c'est le népotisme nouveau riche". On ne tient pas compte des traditions grand-bourgeoises, expliquent-ils, à brûler ainsi les étapes : "L'ascension du fils à marche forcée ne respecte pas le temps de la légitimation, de la légitimité, de l'installation de l'individu dans le champ politique."
En tous les cas, cette pantalonnade symptomatique de la "république des potes" fait subir une sacrée déconfiture à la république du mérite du candidat Sarkozy déclarant en 2007 : "Ce qui compte en France pour réussir, ce n'est plus d'être bien né, c'est de travailler dur et d'avoir fait la preuve, par ses études, par son travail, de sa valeur."
Pour un couple de chercheurs spécialistes de l'univers et des codes de la grande bourgeoisie, Monique et Michel Pinçon, auteurs des Ghettos du gotha, "Sarkozy, c'est le népotisme nouveau riche". On ne tient pas compte des traditions grand-bourgeoises, expliquent-ils, à brûler ainsi les étapes : "L'ascension du fils à marche forcée ne respecte pas le temps de la légitimation, de la légitimité, de l'installation de l'individu dans le champ politique."
En tous les cas, cette pantalonnade symptomatique de la "république des potes" fait subir une sacrée déconfiture à la république du mérite du candidat Sarkozy déclarant en 2007 : "Ce qui compte en France pour réussir, ce n'est plus d'être bien né, c'est de travailler dur et d'avoir fait la preuve, par ses études, par son travail, de sa valeur."
lundi 5 octobre 2009
Le Marais marseillais
Nous avons fini par déménager début septembre. Direction : le Marais marseillais, autrement dit le "Quartier des Antiquaires", niché dans le 6e arrondissement, entre la Préfecture et la Place Castellane. Plus urbain qu'auparavant, certes. Mais difficile de décrire et de faire éprouver le bonheur de déambuler dans ces ruelles ascendantes et descendantes qui évoquent l'Italie. La principale difficulté, à l'évidence, est de dormir la nuit toutes fenêtres ouvertes : le quartier est nettement plus passant. Question d'habitude. Et l'avenue du Prado, dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien, la Place Castellane toute proche débouche sur ce grand boulevard qui mène plus au sud et vers les plages...
dimanche 1 mars 2009
Divers cinés d'hiver...
Nos dernières sorties ciné.
Le dernier cru Eastwood, L’Echange, nous a enchantés tous deux, quand bien même l’enchantement paraît peu adéquat quant au sujet… Voilà, en effet, un film noir. Très noir, même. Mais de cette belle noirceur classique, tout en sobriété, qui démontre comme on l’a dit tant de fois, que Eastwood est le dernier des grands classiques. Si cette histoire de rapt d’enfant(s), de collusion entre les institutions policières et psychiatriques pour faire admettre contre toute évidence à une mère que l’enfant qu’on lui a remis est bien son fils, glace le sang, tout cela est filmé sans esbroufe, avec un sens du ton juste, une économie de moyens qui va à l’essentiel : servir une histoire, d’abord une histoire, saisissante. Quant au message sous-jacent : dénonciation par Eastwood des petits et grands arrangements organisés par les institutions jusque dans l’époque contemporaine (les années Bush par exemple) ? Piste plausible. Le contraste abyssal entre la façon sèche dont Eastwood filme la pendaison du tueur d’enfants, que « l’institution » n’a même pas cherché visiblement à ausculter, psychiatriquement parlant, et le harcèlement fait à cette mère que l’on donne pour « folle » dès lors qu’elle refuse de se soumettre au discours manipulatoire des autorités, ne peut que creuser la réflexion - car voilà bien un portrait de l'ordre à tout prix, à n'importe quel prix…
Le cinéma italien produit de nouveau de grands films. Dans la suite presque logique de Gomorra, Il Divo de Paolo Sorrentino restitue quelque chose du pourrissement, non du royaume du Danemark, mais des institutions de la péninsule italienne. Formidable jeu de l’acteur principal, Toni Servillo, qui incarne Giulio Andreotti, sept fois Président du Conseil, allié tour à tour de la mafia et du Vatican, lié à la loge P2, mouillé jusqu’au cou dans « les affaires » sans jamais se tremper lui-même, impénétrable jusqu’au bout, plusieurs fois soupçonné, jamais condamné. Ce Nosferatu de la politique italienne se balade de son pas de petit vieux dans ce film crépusculaire où les morts se succèdent à un rythme trépidant, sur un ton qui est celui de l’humour le plus noir. Inoubliable scène de promenade dans Rome la nuit, avec pour unique compagnie celle des agents de sécurité de la République. Inoubliable scène de fête dans un palais, où se trémoussent vieux briscards de la politique et jeunes naïades, sous l’œil impénétrable de celui qu’on appelait aussi « le Moloch ».
Issu de l’esprit grolandais, Louise Michel dézingue le néolibéralisme à la mode, à l’aide d’un humour noir et totalement absurde. Ou quand des ouvrières brutalement licenciées se cotisent pour faire buter leur patron… Réjouissant, souvent drôle, parfois grinçant, l’exercice entre en résonance avec les préoccupations contemporaines liées au contexte de la crise financière. Moment étonnant de vérité et d’impasse lorsque les deux apprentis tueurs, Yolande Moreau et Bouli Lanners, débarquent sur l’île de Jersey pour achever leur contrat : c’est alors en effet que leur quête de patron à rencontrer physiquement, puis à exécuter, bute sur de simples rangées de boîtes aux lettres de sociétés. A l’image de son entreprise, le patron est délocalisé…
Les Noces Rebelles de Sam Mendes réunit et disloque le couple mythique du mythique Titanic. Il n’est plus question de faire chanter ici à Céline Dion de niaises bluettes promptes à faire monter le taux de sucre des diabétiques. Au contraire. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, se plaisent et se mettent ensemble sur un malentendu. Au lieu d'un bateau, c'est un couple qui coule... C’est formidablement interprété et mis en scène. Kate Winslet est extraordinaire en femme américaine qui reporte rêves et ambitions sur un homme peu apte, et au fond peu désireux de les porter. Juste également, Leonardo DiCaprio est ce type fanfaron qui ne se sait pourtant pas d’autre destin que celui de son père : travailler dans la même boîte que lui, et ce sera tout, merci monsieur. Et cela finit mal, comme un American Beauty des années cinquante, dans lequel l’entourage, professionnel et privé, se coule et se pétrifie dans un conformisme morbide, incapable de comprendre un seul instant le tragique de ce couple que tous idéalisent en un modèle, alors que ce n’est qu’une image, celle du vide – qui pourrait s’ouvrir sous leurs pieds.
Les Plages d’Agnès sont une œuvre magnifique d’Agnès Varda, toujours jeune. Il y a dans ce film un amour du cinéma, et plusieurs cinémas dans ce cinéma. C’est inventif, c’est jeune, c’est drôle, c’est formidable. Expérience à vivre. Après avoir vu un film-testament de cette envergure, on peut mourir tranquille. Ou mieux : retourner vivre, après cette très belle cure de jouvence.
Je finirai sur Slumdog Millionnaire du Britannique Danny Boyle, que je suis allé voir hier au soir. J’en reviens avec des sentiments ambivalents : s’il procure un véritable plaisir (on s’attache aux personnages, on frissonne avec eux…), il est d’une rare laideur (photographie, cadrages, rythme clipesque, musique envahissante et tonitruante). En dépit d’une histoire honnêtement racontée qui prend le spectateur à la gorge, tout est filmé avec une esbroufe, un sens du tape-à-l’œil exceptionnels. Le réalisateur nous dit : regarde un peu ce plan, coco, je filme des taudis indiens, je montre des ordures, mais je n’oublie jamais de faire bouger ma caméra pour dire aux jeunes de ne pas zapper, et en bonus, je montre toujours le petit détail qui fait joli dans un recoin de l’image. Ouais, vise un peu ce linge bleu sur fond d’ordures, vise un peu le chien filmé en contre-plongée comme dans les clips de Duran Duran… Tout le contraire du classicisme de Eastwood (cf L’Echange), tout l’inverse de l’inventivité pleine de jeunesse d’Agnès Varda (cf Les Plages d’Agnès). Voilà un film qui veut faire jeune, et qui affichera les rides précoces de sa vieille peau très, très vite.
Le dernier cru Eastwood, L’Echange, nous a enchantés tous deux, quand bien même l’enchantement paraît peu adéquat quant au sujet… Voilà, en effet, un film noir. Très noir, même. Mais de cette belle noirceur classique, tout en sobriété, qui démontre comme on l’a dit tant de fois, que Eastwood est le dernier des grands classiques. Si cette histoire de rapt d’enfant(s), de collusion entre les institutions policières et psychiatriques pour faire admettre contre toute évidence à une mère que l’enfant qu’on lui a remis est bien son fils, glace le sang, tout cela est filmé sans esbroufe, avec un sens du ton juste, une économie de moyens qui va à l’essentiel : servir une histoire, d’abord une histoire, saisissante. Quant au message sous-jacent : dénonciation par Eastwood des petits et grands arrangements organisés par les institutions jusque dans l’époque contemporaine (les années Bush par exemple) ? Piste plausible. Le contraste abyssal entre la façon sèche dont Eastwood filme la pendaison du tueur d’enfants, que « l’institution » n’a même pas cherché visiblement à ausculter, psychiatriquement parlant, et le harcèlement fait à cette mère que l’on donne pour « folle » dès lors qu’elle refuse de se soumettre au discours manipulatoire des autorités, ne peut que creuser la réflexion - car voilà bien un portrait de l'ordre à tout prix, à n'importe quel prix…
Le cinéma italien produit de nouveau de grands films. Dans la suite presque logique de Gomorra, Il Divo de Paolo Sorrentino restitue quelque chose du pourrissement, non du royaume du Danemark, mais des institutions de la péninsule italienne. Formidable jeu de l’acteur principal, Toni Servillo, qui incarne Giulio Andreotti, sept fois Président du Conseil, allié tour à tour de la mafia et du Vatican, lié à la loge P2, mouillé jusqu’au cou dans « les affaires » sans jamais se tremper lui-même, impénétrable jusqu’au bout, plusieurs fois soupçonné, jamais condamné. Ce Nosferatu de la politique italienne se balade de son pas de petit vieux dans ce film crépusculaire où les morts se succèdent à un rythme trépidant, sur un ton qui est celui de l’humour le plus noir. Inoubliable scène de promenade dans Rome la nuit, avec pour unique compagnie celle des agents de sécurité de la République. Inoubliable scène de fête dans un palais, où se trémoussent vieux briscards de la politique et jeunes naïades, sous l’œil impénétrable de celui qu’on appelait aussi « le Moloch ».
Issu de l’esprit grolandais, Louise Michel dézingue le néolibéralisme à la mode, à l’aide d’un humour noir et totalement absurde. Ou quand des ouvrières brutalement licenciées se cotisent pour faire buter leur patron… Réjouissant, souvent drôle, parfois grinçant, l’exercice entre en résonance avec les préoccupations contemporaines liées au contexte de la crise financière. Moment étonnant de vérité et d’impasse lorsque les deux apprentis tueurs, Yolande Moreau et Bouli Lanners, débarquent sur l’île de Jersey pour achever leur contrat : c’est alors en effet que leur quête de patron à rencontrer physiquement, puis à exécuter, bute sur de simples rangées de boîtes aux lettres de sociétés. A l’image de son entreprise, le patron est délocalisé…
Les Noces Rebelles de Sam Mendes réunit et disloque le couple mythique du mythique Titanic. Il n’est plus question de faire chanter ici à Céline Dion de niaises bluettes promptes à faire monter le taux de sucre des diabétiques. Au contraire. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, se plaisent et se mettent ensemble sur un malentendu. Au lieu d'un bateau, c'est un couple qui coule... C’est formidablement interprété et mis en scène. Kate Winslet est extraordinaire en femme américaine qui reporte rêves et ambitions sur un homme peu apte, et au fond peu désireux de les porter. Juste également, Leonardo DiCaprio est ce type fanfaron qui ne se sait pourtant pas d’autre destin que celui de son père : travailler dans la même boîte que lui, et ce sera tout, merci monsieur. Et cela finit mal, comme un American Beauty des années cinquante, dans lequel l’entourage, professionnel et privé, se coule et se pétrifie dans un conformisme morbide, incapable de comprendre un seul instant le tragique de ce couple que tous idéalisent en un modèle, alors que ce n’est qu’une image, celle du vide – qui pourrait s’ouvrir sous leurs pieds.
Les Plages d’Agnès sont une œuvre magnifique d’Agnès Varda, toujours jeune. Il y a dans ce film un amour du cinéma, et plusieurs cinémas dans ce cinéma. C’est inventif, c’est jeune, c’est drôle, c’est formidable. Expérience à vivre. Après avoir vu un film-testament de cette envergure, on peut mourir tranquille. Ou mieux : retourner vivre, après cette très belle cure de jouvence.
Je finirai sur Slumdog Millionnaire du Britannique Danny Boyle, que je suis allé voir hier au soir. J’en reviens avec des sentiments ambivalents : s’il procure un véritable plaisir (on s’attache aux personnages, on frissonne avec eux…), il est d’une rare laideur (photographie, cadrages, rythme clipesque, musique envahissante et tonitruante). En dépit d’une histoire honnêtement racontée qui prend le spectateur à la gorge, tout est filmé avec une esbroufe, un sens du tape-à-l’œil exceptionnels. Le réalisateur nous dit : regarde un peu ce plan, coco, je filme des taudis indiens, je montre des ordures, mais je n’oublie jamais de faire bouger ma caméra pour dire aux jeunes de ne pas zapper, et en bonus, je montre toujours le petit détail qui fait joli dans un recoin de l’image. Ouais, vise un peu ce linge bleu sur fond d’ordures, vise un peu le chien filmé en contre-plongée comme dans les clips de Duran Duran… Tout le contraire du classicisme de Eastwood (cf L’Echange), tout l’inverse de l’inventivité pleine de jeunesse d’Agnès Varda (cf Les Plages d’Agnès). Voilà un film qui veut faire jeune, et qui affichera les rides précoces de sa vieille peau très, très vite.
samedi 31 janvier 2009
Un tout petit Napoléon
Pas plus que d'autres, je ne résiste au plaisir pervers de vous faire partager ce savoureux extrait de Victor Hugo, consacré à Napoléon III (Napoléon le Petit, réédité chez Actes Sud) :
Que peut-il ? Tout. Qu'a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France et n'en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.
L'homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère, est un carriériste avantageux. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort.
Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse. Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde, d'un homme médiocre échappé.
Que peut-il ? Tout. Qu'a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France et n'en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.
L'homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère, est un carriériste avantageux. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort.
Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse. Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde, d'un homme médiocre échappé.
Au fait : toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite.
vendredi 30 janvier 2009
La grève et ses otages
L’usage fréquent dans les contextes de grève de l’expression « prise d’otage » mériterait sans doute d’être plus souvent questionné : « les grévistes ont encore pris les usagers en otage », nous répètent souvent les grands médias, TF1 en tête. Car il y a matière, encore une fois, à s'interroger. Si le désagrément occasionné est bien une réalité, si la méthode de grève mise en œuvre est discutable (en comparaison avec les grèves habituellement organisées par exemple par les grands syndicats allemands), l’emprunt à un vocabulaire relevant de la sphère des agissements criminels est tout de même sidérant. Il faut quand même rappeler que, juridiquement, la prise d’otage est un crime, que la grève au contraire est un droit garanti par la Constitution. L’un a pour objectif de contraindre par la force et par la menace ; on n’hésite pas à tuer pour atteindre ses objectifs. L’autre ne fait qu’exercer son droit, même s’il gêne le libre déplacement et l’activité d’autrui. Ce qui, sur l’échelle des gravités, ne désigne pas tout à fait les mêmes choses… Comme l'explique le blog 24 heures Philo : "Dire que les professeurs ou les cheminots prennent les usagers en otages, c’est en faire des malfrats, des gangsters, faire du droit de grève un crime, de la vie sociale un guet-apens."
L’analyse d’une grève de la fin des années 50 par le sémiologue Roland Barthes (L’usager de la grève, 1957) reste d’une actualité rafraîchissante : « Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro. C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre. Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu’est le bon sens. »
L’analyse d’une grève de la fin des années 50 par le sémiologue Roland Barthes (L’usager de la grève, 1957) reste d’une actualité rafraîchissante : « Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro. C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre. Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu’est le bon sens. »
Vive les acteurs de la sortie de crise !
Le droit de grève serait-il obsolète aux yeux du gouvernement ? Va-t-on revenir à l'époque d'avant Napoléon III, où la grève était tout simplement interdite ? Dans la suite logique des déclarations goguenardes de notre hyperprésident Nicoléon le Petit ("Désormais, lorsqu'il y a une grève en France, on ne s'en rend pas compte"), des indices nous laissent à penser que le gouvernement actuel, dans un étrange mouvement de rétropédalage, amalgame la grève et le droit de la faire à une sorte de défi antimoderne à sa conception de l'ordre du monde. Le 27 janvier au matin, Eric Woerth, distingué Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, était l'invité du Sept Dix de Nicolas Demorand, sur France Inter. Alors que la grève s'annonce pour le jeudi 29 et qu'il y a dans l'air comme un climat de fronde, M. Woerth informe les auditeurs qu'il existe "d'autres moyens de se faire entendre". Demorand relance : "Lesquels, M. Woerth ?" Et voici que le ministre hésite : comme il l'ignore sans doute et que, visiblement, c'est après le droit de grève qu'il en a (une "prise d'otage", selon le vocabulaire en vigueur dans la plupart des médias), il évoque la possibilité de s'exprimer autrement, mais nous dit-il, ce n'est pas à lui de dire ce qu'il faut faire pour se faire entendre... Ah, d'accord. M. Woerth sans doute est modeste. Et de nous inviter à nous serrer les coudes : après tout, sermonne le distingué Ministre du Budget, les gens sont inquiets pour leur pays. Demorand relance : "Les gens qui manifestent jeudi peuvent dire la même chose : je suis inquiet pour mon pays, pour l'avenir de nos enfants". M. Woerth soudain semble pris au dépourvu, alors il joue son va-tout ; il botte en touche : "Eh ben, qu'ils se démènent, quoi.... Qu'ils bougent !" On touche au sublime ; le ministre ajoute : "Qu'ils deviennent un acteur de la sortie de crise !", en se mettant "à l'unité du pays", précise-t-il. Rentrez chez vous, braves gens, travaillez (si vous le pouvez), mais surtout bouclez-la. En journaliste à qui on ne la fait pas, Demorand repart : "Mais lorsque l'on perd son emploi ou qu'on est en chômage technique, comment on fait pour être un acteur de la sortie de crise ?" C'est là que l'auditeur éberlué apprend que selon M. Woerth, il existe "trente-six mille manières" d'être "acteur de la sortie de crise". Toutefois, toutefois, nul besoin de commencer à compter, on n'en saura guère plus : M. Woerth embraye très, très vite et reparle de "se serrer les coudes" et d'"écouter la souffrance des gens". En clair : soyez sages, mais sachez combien l'on compatit, braves gens... Tout cela nous joue, toutes proportions gardées bien entendu, un petit air de "Gleichschaltung", la "mise au pas" inventée par les hitlériens : ne s'agissait-il pas, alors, de faire marcher tout le monde à l'unisson ? De quoi Sarkozy était-il le nom, déjà ?
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