L’usage fréquent dans les contextes de grève de l’expression « prise d’otage » mériterait sans doute d’être plus souvent questionné : « les grévistes ont encore pris les usagers en otage », nous répètent souvent les grands médias, TF1 en tête. Car il y a matière, encore une fois, à s'interroger. Si le désagrément occasionné est bien une réalité, si la méthode de grève mise en œuvre est discutable (en comparaison avec les grèves habituellement organisées par exemple par les grands syndicats allemands), l’emprunt à un vocabulaire relevant de la sphère des agissements criminels est tout de même sidérant. Il faut quand même rappeler que, juridiquement, la prise d’otage est un crime, que la grève au contraire est un droit garanti par la Constitution. L’un a pour objectif de contraindre par la force et par la menace ; on n’hésite pas à tuer pour atteindre ses objectifs. L’autre ne fait qu’exercer son droit, même s’il gêne le libre déplacement et l’activité d’autrui. Ce qui, sur l’échelle des gravités, ne désigne pas tout à fait les mêmes choses… Comme l'explique le blog 24 heures Philo : "Dire que les professeurs ou les cheminots prennent les usagers en otages, c’est en faire des malfrats, des gangsters, faire du droit de grève un crime, de la vie sociale un guet-apens."
L’analyse d’une grève de la fin des années 50 par le sémiologue Roland Barthes (L’usager de la grève, 1957) reste d’une actualité rafraîchissante : « Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro. C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre. Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu’est le bon sens. »
L’analyse d’une grève de la fin des années 50 par le sémiologue Roland Barthes (L’usager de la grève, 1957) reste d’une actualité rafraîchissante : « Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains lecteurs du Figaro. C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de défendre. Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu’est le bon sens. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire