jeudi 6 novembre 2008

Parlez-moi de l’automne…

Allez ! il faut bien vous parler de quelques films vus récemment.

J’ai adoré Vicky Cristina Barcelona, que Florence n’a pas vu. Il ne faut pas imaginer qu’un amour inconditionnel de Woody Allen m’anime, mais bien plutôt le constat de la capacité de renouvellement que possède ce réalisateur, dont une des maîtrises de son art consiste à parvenir renaître régulièrement de ses cendres tel le fameux Phénix. Et ce n’est pas une mince prouesse, je trouve, que de tisser toujours, sans jamais lasser, les mêmes motifs au sein de nouvelles trames, dans de nouveaux topos (on a quitté l’univers new-yorkais, Woody Allen nous a baladé à Londres, voilà qu’il nous emmène faire escale à Barcelone), en lançant sur ses terrains de jeu de nouveaux personnages à la recherche d’eux-mêmes et de l’amour avec un grand A. Cela nous donne un film délicieux et délicieusement ensoleillé, où sourd pourtant une mélancolie secrète : l’amour est toujours inassouvi chez Woody Allen ; ni Rebecca Hall la rationnelle qui ne parie que sur l’amour toujours, ni Scarlett Johanson l’irrationnelle qui suit ses sentiments de l’instant, ni Penelope Cruz la « folle » ne trouvent vraiment leur bonheur en chemin, en dépit de ce merveilleux été qu’il fait à Barcelone… Toujours à l’œuvre cette finesse juive, ce sens bien particulier de l’humour teinté de désespoir qui, déjà, faisait pétiller le cinéma de Billy Wilder ou de Lubitsch : est-ce un hasard si ce film évoque la comédie romantique hollywoodienne des années 30, avec cette voix off désuète qui décrit les péripéties des personnages et contemple ludiquement leur manière de se débattre avec leurs contradictions et leurs impulsions ? Dans un Barcelone délibérément de carte postale, Woody Allen prouve sa formidable maîtrise dans la manipulation des clichés (la fille rationnelle / la fille irrationnelle, l’initiation sexuelle de deux Anglo-Saxonnes parties s’encanailler chez les Latins à Barcelone…) et parvient à faire passer, en contrebande, derrière le divertissement léger, pour ne pas dire vaporeux, une vision désespérée de l’existence… Woody Allen, c’était mieux avant, c’est mieux aujourd’hui : quelle importance, tellement le bonhomme maîtrise les variations de son œuvre… Oui, un film délicieux comme un champagne et pourtant grave comme le désespoir !

Après le soleil, une fois n’est pas coutume, la pluie : quelques lignes sur Parlez-moi de la pluie, le dernier film de Agnès Jaoui. Voilà une œuvre d’une drôlerie mélancolique – même si le ton n’est pas le même que chez Woody Allen - qui raconte la tartarinade à Tarascon de documentaristes foireux (Jean-Pierre Bacri et Jamel Debbouze, très touchants), qui rappelle les films choraux de Sautet (la mise en scène d’une micro-société) aussi bien que les Bronzés (l’amusante scène chez les paysans). C’est un discours sur l’humiliation ordinaire, où le comique n’empêche pas la tendresse. Une œuvre au goût doux-amer, où le rire, s’il n’est jamais lourd, n’a pas pourtant la légèreté des bulles de champagne du Woody Allen ; la clé de l’histoire, située tout à la fin, recouvre ce film d’une tenace amertume.

Après l’étrangeté burlesque de Iceberg, Rumba de Dominique Abel et Fiona Gordon est un drôle de film, et parfois un film drôle, qui raconte l’histoire d’un couple constitué d’un prof de gym et d’une prof d’anglais qui ne vivent que pour la danse latino et pour ses concours régionaux. Un mélange étrange de Aki Kaurismäki et de Jacques Tati, où l’inventivité belge et le burlesque sont à l’honneur. Qu’on en juge : après un quart d’heure amusant où l’on montre une manière originale et parfaitement « belge » de faire la classe, nos héros pour éviter un suicidaire plantent leur voiture dans le décor, la femme perd une jambe, l’homme devient amnésique, et des aventures invraisemblables autant que tatiesques s’ensuivent (récupération d’un paquet, incendie domestique, courses à la supérette du quartier, etc.). On ne peut pas dire que ce ne soit pas amusant, mais en dépit des talents réunis cela tourne parfois à vide. Un univers décalé qui promet encore de futurs beaux films originaux.

Nous avons passé un excellent moment avec ce très beau film joyeux qu’est Be Happy de Mike Leigh, ou l’histoire d’une jeune institutrice, Poppy, qui prend la vie du bon côté. Sous des apparences rose bonbon, ce film montre en Poppy quelqu’un qui au fond tient une position de combat : avec ses allures de niaise qu’on pourrait avoir envie de gifler, c’est un personnage dont l’attitude consiste à ne jamais baisser la garde. La formidable scène du flamenco illustre parfaitement ce propos : cette danse issue des bas-fonds, inventée par les Gitans, explique le savoureux professeur de danse espagnol (qui saisit là l’occasion de tourner en dérision les confitures anglaises !), est une manière de redresser la tête face à l’âpreté de l’existence. Et c’est bien ce que dit le film, qui va à l’encontre de la naïveté, certes sympathique, que l’on trouvait chez Amélie Poulain, chez qui tout le monde, au fond, il était beau, il était gentil : Poppy confrontée à la dureté du réel, avec le professeur de conduite, avec le clochard, ne se réfugie pas dans le rose bonbon ; elle va l’affronter, ce réel. Il y a dans ce film de l’humanisme du Guédiguian de Marius et Jeannette. Peut-on conclure autrement qu’en disant que c’est un film formidable et formidablement humain ?

Beaucoup plus sombre, on le conçoit bien, est le Gomorra de Matteo Garrone, inspiré du best-seller homonyme écrit par le journaliste Roberto Saviano sur la Camorra napolitaine et qui lui a valu d'être placé sous protection policière permanente… Voilà certainement, en effet, un des films les plus réalistes et les plus implacables qui aient jamais été réalisés sur l’institution mafieuse. A dix mille lieues des Parrains et des Scarface pourtant peu avenants mais qui, on le voit dans le film, font rêver de jeunes imbéciles, les mafiosi jamais n’y sont montrés sous un jour glamour : laids, grossiers, monstrueux, ils traitent la vie de leurs semblables comme quantité parfaitement négligeable. Dès la première scène, percutante, des cabines d’UV où se bronzent puis se font descendre des boss de l’organisation, le réalisateur, avec un réalisme quasi-documentaire, nous emmène dans les arcanes de la mafia napolitaine ; il nous montre les lieux où elle vit ; il nous entraîne dans les rouages de ses trafics (drogue, textile, armes, déchets). Et ce que l’on aperçoit, c’est une société et une économie aussi pourries que les déchets toxiques avec lesquels cette mafia empoisonne les sols de la région napolitaine. D’autant que, mondialisation oblige, l’empire de la Camorra s’étend à toute l’Europe, voire au monde…

Entre les murs de Laurent Cantet et d’après le livre de François Bégaudeau vaut-il sa Palme d’Or ? Nous l’avons vu tous deux, et nous avons apprécié, je crois, le travail de mise en scène et le jeu proches du documentaire ; il y a dans ce film un puissant effet de réel, tout comme produisait une forte impression de réel Gomorra. Des profs interviewés par Le Nouvel Obs reprochaient au film a contrario un déficit de réalisme : ils pointaient les découpages du film en tranches de vie de la classe au lieu que l’on assiste à la vie quotidienne d’une classe, les méthodes du professeur lui-même et son intervention réduite à des joutes verbales avec ses élèves, etc. Un film de fiction comme l’est de toute façon Entre les murs prétend-il au même degré et aux mêmes méthodes de représentation du réel que le documentaire stricto sensu ? Si les scènes de solidarité professionnelle en salle des professeurs paraissent relever de l’exception, à défaut de ne jamais exister dans la réalité, les comportements des élèves en classe, leurs discours et leurs réflexions ne paraissent jamais surfaits ; ils arrivent en tout cas à nous toucher. Et ce qui nous touche par-dessus tout, c’est que le film aborde entre ces murs de classe des questions fondamentales : la transmission des savoirs, la citoyenneté, la réussite sociale, l’échec scolaire et les échecs tout court, les inégalités sociales face au savoir... Bref, ce film qui recrée le réel comme a toujours très bien su le faire Laurent Cantet parvient à émouvoir, à nous alerter… Pour combien de temps, aurait-on envie d’ajouter.

Je terminerai par Home de Ursula Meier, avec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet, que Florence m’a emmené voir en désespoir de cause il y a quelques jours (le cinéma où nous souhaitions aller voir un tout autre film était fermé pour cause de sévère dégât des eaux). Ou l’histoire kafkaïenne d’une famille qui réside tout au bord d’une autoroute que l’on remet à la circulation et qui n’arrive pas à quitter sa maison désormais coupée du monde (les personnages sont obligés d’attendre la nuit pour passer de l’autre côté de l’autoroute) et de surcroît sans cesse soumise au terrifiant tintamarre du trafic routier… Au départ, tout semble baigner dans l’huile : la famille vit là comme dans un cocon ; la preuve, on se retrouve tous ensemble dans la salle de bains, et c’est fusionnel en diable entre la grande fille qui exhibe ses seins, le père qui se gratte les fesses, le fils qui se lave dans la même eau que la grande soeur… On exagère à peine. Puis tout se détraque assez vite, et la névrose de la mère menace d’ouvrir tout grand les vannes… On a envie de dire que la photographie est superbe, que les acteurs sont irréprochables, que cette histoire d’autoroute infernale censée relier et qui, dans les faits, coupe du monde ces gens établis et enfermés au milieu de nulle part, fait un scénario idéalement absurde dont les Monty Python ou Franz Kafka auraient pu faire leur miel. Mais tout est tellement pris au sérieux ; au-delà de la première demi-heure, cela devient saoûlant, fatigant ; on s’ennuie ferme. Ce film finalement me fait penser à Sur un arbre perché, ce vieux navet d'un certain Serge Korber qui prenait pour prétexte de départ de coincer Louis de Funès et sa voiture tout au sommet d’un arbre et qui n’avait rien d’autre à faire qu’à étirer les situations. Loin d’être un navet, pourtant, Home nous enferme dans cette maison, avec ses gens, et c’est chiant comme la pluie. On se plaît à imaginer une œuvre réduite à un court-métrage, mieux rythmé, plus concis, et pourquoi pas une pincée de fantaisie…

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