Parce que ses personnages principaux travaillent dans une entreprise de pompes funèbres, "Six Feet Under" montre précisément tout ce que la télévision (en cela, exact reflet de la société contemporaine) refuse d'ordinaire avec l'énergie du désespoir : la présence, dans la vie de chacun, de cadavres, de cercueils et de larmes ; la douleur, l'insoutenable lenteur du deuil. Sous le soleil radieux de Californie, les frères Fisher, Nate (Peter Krause) et David (Michael C. Hall), accueillent, jour après jour, de nouveaux cadavres.
Toute la famille (les deux frères comme leur mère, Ruth, et leur soeur, Claire) est hantée par le souvenir du père, un homme dangereusement à l'aise avec la mort. C'est aussi la mort celle de chaque futur "client" des Fisher qui ouvre chaque épisode.
Ainsi, au fil de la série, un sentiment précis gagne le spectateur : celui de la quotidienneté de la mort, sentiment qui était jusqu'alors l'apanage de cette famille dont la cave sert à embaumer des cadavres. Ce principe est aussi un tour de force scénaristique : chacune de ces séquences introductives réussit à surprendre. Prenons, par exemple, cette scène anodine au début de "Coup du destin" : un homme tente d'allumer sa cuisinière à gaz. Le spectateur averti sourirait presque, tant la suite est facile à deviner. A l'évidence, le malheureux va se montrer imprudent, et succomber à un accident domestique. Mais le téléphone sonne, notre homme engage la conversation avec l'inconnu qui lui propose un sondage. Soudain, des coups de feu retentissent : à l'autre bout du fil, l'entreprise de télémarketing est victime d'un tireur fou. Le mort ne sera pas celui qu'on croyait.
Peut-être parce que, plus que d'autres, ils ne sauraient oublier qu'ils sont mortels, les membres de la famille Fisher se débattent avec une belle intensité dans les difficultés du quotidien, un mariage malheureux pour Nate, une trop grande solitude pour Ruth. Comme David le répète volontiers, "les enterrements ne sont pas pour les morts, mais pour les vivants". En parlant de la mort, Alan Ball ne fait, au fond, que parler de la vie.
Article paru dans l'édition du 15.04.05
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