samedi 15 décembre 2007

Les portugaises de Soeur Mary-Bernard

Du sadisme en Amérique...
Au fait, avez-vous jamais lu La religieuse portugaise d'un nommé Guilleragues, l'histoire de cette religieuse (... portugaise, bien entendu) qui se consume d'amour en plein 17e siècle pour un amant français et se répand dans une série d'échanges épistolaires à sens unique sur cette passion qui la dévore ? Et avez-vous succombé aux délices de Desperate Housewives, cette série pétillante qui dézingue l'Amérique des banlieues chics aux pelouses impeccables ?
Le rapport de l'un avec l'autre, me direz-vous ? Quelque chose de dévorant aussi, et qui fiche un peu les jetons. Dans la deuxième saison de Desperate nous arrive, alléluia, Soeur Mary-Bernard... Oui, Soeur Mary-Bernard ! Soeur Mary-Bernard, jeune nonne angélique (elle est blonde comme les blés et affiche un regard bleu azur), et pourtant authentique graine de démon. C'est que ma Soeur exerce son apostolat dans la paroisse de Carlos et de Gabrielle Solis, et son emprise sur le mari... au grand dam de l'épouse (qui pourtant s'y connaît en matière de péché, les fans comprendront). Telle une mante, euh, religieuse, Soeur Mary-Bernard possède ce dernier. Enfin, elle le tient, quelque part. Encore qu'on puisse avoir du mal à démêler à quel niveau se situe la possession (religieux, spirituel, psychologique, moral...), ni surtout qui est actif dans cette possession (la vilaine nonne est-elle active, le mari se contente-t-il d'être passif, mystère). A défaut de se consumer d'amour, si ce n'est peut-être pour Dieu (encore que...), notre Soeur Mary-Bernard se sert de ses portugaises à elle pour habilement manipuler Carlos Solis, le brave homme étant, il faut bien le dire, un peu à la déroute...
Vous avez envie de vous flanquer une petite frousse ? Vous êtes en manque de frissons ? Revoyez le premier échange entre Gabrielle Solis et la Soeur. Gabrielle Solis demande à la religieuse de cesser de tourner autour de son mari. Telle une créature maléfique, la bonne soeur fait comprendre à Gabrielle (et au spectateur, glacé) qu'elle et son mari l'auront longtemps sur le dos. La charmante Gabrielle tente de l'effrayer en menaçant de lui casser la figure. Et voici que l'affreuse bonne soeur lui répond, dans un sourire qui vous fait longtemps froid dans le dos : "Chiche !". Brrrr...
Que voulez-vous que je vous dise après tant de sadisme de la part de cette religieuse hors norme, qui dépasse en effroi toutes les mariolades libertines du marquis de Sade, et qui renvoie la malheureuse religieuse portugaise à ses courriers tout torchonnés du 17e siècle, imbibés de pleurs...


Ciné novembre : faut que ça danse !

Au cours du mois de novembre, comme souvent, nous sommes allés régulièrement au cinéma et avons déniché quelques merveilles, qui vont du bon cinoche au chef-d'oeuvre en passant par un coup pour rien (ou presque).

Eliminons le Coppola (L'homme sans âge). Quand on a aimé et admiré des monuments qui s'appellent la trilogie du Parrain, Apocalypse Now, etc., ce film est une vraie déception. Attention, ce n'est pas le mauvais film de n'importe qui, c'est le ratage d'un grand cinéaste qui a beaucoup d'idées mais les entasse dans un kitsch vite étouffe-chrétien. Au début, on a envie d'y croire, à cette histoire d'un homme, frappé par la foudre, qui rajeunit et remonte le cours du langage (sumérien, babylonien, sanscrit, et tutti quanti) via une femme rencontrée en cours d'aventure. Puis, le carton-pâte et le grand-guignol prennent le dessus, avec des effets dignes du cinéma-bis et les crises linguistico-draculesques de la jeune femme... Coppola s'est-il vu dans le rôle du vieillard qui redevient jeune homme ? Le problème, comme je l'ai lu ailleurs, c'est qu'il affiche des naïvetés qu'un vieux singe comme lui ne peut plus se permettre. En guise de lot de consolation, la nouvelle de Mircea Eliade est sans doute plus réussie.

Rien de tel pour être gentiment emmenés en bateau que le plus que sympathique Heure Zéro de Pascal Thomas, qui lorgne ici du côté de Chabrol, mais sans la cruauté sociale de ce dernier. Sachez simplement que ça ressemble à une partie de Cluedo (un peu foutraque, certes), que Laura Smet en allumeuse hystérique et bourrée de caprices est prodigieuse, que Danielle Darrieux en vieille tante opiomane qui se fiche un peu de tout est grandiose, que les décors sont superbes et fascinants, et qu'on s'amuse bien... Bref, c'est du plaisir de cinéma, et ce n'est déjà pas mal. Un grand moment à découvrir : une manière incroyable de dire adieu à un défunt signée Danielle Darrieux.

Le cru Woody Allen 2007 est un grand cru, avec Le Rêve de Cassandre. C'est une sorte de tragédie grecque implacable, dont l'action se situe dans l'Angleterre contemporaine. L'histoire peut a priori se résumer en une phrase : deux frères du milieu ouvrier confrontés à des soucis matériels assez triviaux commettent un crime. Mais c'est la manière dont la tragédie s'enclenche qui est passionnante. Des critiques l'ont confronté aux oeuvres de Hitchcock, ou de Mike Leigh, paraît-il plus à leur aise dans les mêmes milieux sociaux anglais et plus pertinents, et ils ont conclu à quelque chose d'inférieur à ces modèles... Possible. Nous, nous l'avons trouvé captivant, tellement on voit ces deux frères, très bien incarnés, trébucher, à petites enjambées et en se berçant de rêves de grandeur, vers un destin funeste.

Faut que ça danse de Noémie Lvovsky est un film absolument réjouissant, bien que ressemblant au premier abord à un très grand bazar. Comme quelques grands films, il est difficile à définir, entre tragédie et comédie, burlesque et mélancolie. Jean-Pierre Marielle en vieil homme qui refuse de ne plus être jeune, et qui est juif quand ça lui chante, est égal à lui-même : grand. On nous dit des choses extraordinaires sur la difficulté de grandir, d'assumer le passé, qu'il soit collectif ou personnel... Un film à la fois drôle et grave, doté de scènes incroyables et jamais vues ailleurs (le rêve sur Hitler en dessin animé, Marielle enfermé dans un tank au Musée de l'Armée...).

Finissons sur une vraie beauté, visuelle et morale : De l'autre côté de Fatih Akin. C'est un film qui voyage entre Allemagne et Turquie, un film sur les frontières infranchissables, sur la mort de quelqu'un, la mort de quelqu'un d'autre, avec une Hannah Schygullah bouleversante - et un film parfait sur le pardon. Entre autres moments superbes, la fin du film parvient à nous faire partager le sentiment d'apaisement du héros. Tout le monde sait combien il est difficile de montrer l'émotion et la tendresse sans virer dans la sucrerie nunuche, et là, ce n'est ni plus ni moins que la grâce qui nous tombe dessus. S'il ne faut voir qu'un film, c'est sans doute celui-là !

dimanche 18 novembre 2007

Vivent les passeurs !

Savez-vous qu’une palette de musiques populaires afro-occidentales que nous écoutons sur une période de cent ans au moins, comme le rock, le hip-hop, le jazz, le blues, doivent sans doute beaucoup à l’Orient ?
Je m’explique. A l’origine de cette belle et large palette musicale, l’on trouve bien sûr des créateurs noirs (du jazz new-orleans de Louis Armstrong au rap de Public Enemy en passant par le rock’n’roll de Chuck Berry) et blancs (du swing de Glenn Miller au rap des Beastie Boys en passant par le rock des Beatles et d’Elvis Presley). Soit pour schématiser la rencontre de l’Afrique (les musicologues estiment que les prémices du jazz et du blues sont issus des rythmes de l’Afrique de l’Ouest) et de l’Occident (qui met dans le panier de mariage ses instruments, ses valses, polkas et danses irlandaises, et dont les interprètes reprennent à leur compte des genres d’abord décriés par la bonne société blanche comme le jazz, le rythm’n’blues, le rock, le hip-hop…). Toutefois, le rôle des passeurs est essentiel, et c’est là que le rôle de l’Orient – au sens large- est essentiel. En effet, il est possible de postuler que des vulgarisateurs juifs, et parfois turcs ou grecs - c'étaient rarement des WASP (des blancs anglo-saxons protestants) - se sont chargés de traduire – de rendre audible, acceptable - pour le large public blanc (qui était d’abord américain, et d’abord ségrégationniste) des musiques qui nous paraissent aujourd’hui aller de soi : le jazz, le rock, le hip-hop… Même si c’est à grands traits, il nous faut rappeler le contexte (que l’on peut retrouver plus exhaustivement décrit et expliqué dans une multitude d’essais musicologiques consacrés à ces musiques populaires) : via ses pasteurs et ses associations de pères et mères de famille, l’Amérique blanche a d’abord dénigré les genres musicaux issus de sa minorité noire, la traitant très aimablement de « musique de nègre », de « musique du diable »… Puis, l’un après l’autre, les consommateurs blancs (souvent adolescents) et les musiciens blancs ont accepté ces nouveaux modes d’expression, ils ont fait gagner ou gagné eux-mêmes beaucoup d’argent grâce à eux. Petit à petit, on peut considérer que ces expressions musicales se sont embourgeoisées ; elles sont rentrées dans le rang : personne pour s’offusquer aujourd’hui d’un festival de jazz à Juan-les-Pins ou à Marciac, et le bon vieux rock est souvent jugé ringard par la jeunesse des années 2000 qui préfère des musiques plus électroniques…
Ce miracle d’intégration ou d’entrisme est donc imputable à des interprètes, adaptateurs et vulgarisateurs juifs - ou turcs – des musiques noires que l’on va ici passer en revue. Ce sera aussi l’occasion de tirer notre chapeau à ces individus d'exception.
Il y a George Gershwin, un immigré russe, qui crée la bande sonore idéalisée de l’Amérique : pensez à l’opéra Peorgy and Bess sur la vie des Afro-américains (qui comporte la fameuse aria Summertime ), à Rhapsody in Blue
Il y a Robert Zimmerman, dit Bob Dylan, qui mixe poésie surréaliste et musique traditionnelle (en gros : blues et chansons de palefreniers) et propose ainsi « la plus belle idéalisation du Mississipi Delta et la meilleure réinvention de la conquête de l’Ouest ». Highway 61 Revisited ou Blonde on Blonde, et quelques autres, ça vous marque un mélomane…
Il y a deux immigrants polonais Leonard et Phil Chess, qui, lorsqu’ils fondent Chess Records, créent l’un des plus cruciaux labels dans l’histoire du blues américain : leur sont en effet associées des signatures d’artistes aussi importantes que Willie Dixon, Sonny Boy Williamson, Etta James ou encore Muddy Waters, excusez du peu…
Il y a Blue Note, l’incontournable label de jazz créé en 1939 à New York par deux immigrants juifs allemands ayant fui Hitler : Alfred Lion et Francis Wolff. Ce label mythique, dont le nom provient de la « note bleue » caractéristique du jazz et du blues, a lui aussi fait date dans l’histoire de la musique afro-occidentale, aussi bien avec des pochettes inoubliables qu’en enregistrant presque tous les jazzmen importants de l’après-guerre (dans la période hard-bop, essentiellement) : Clifford Brown, Lou Donaldson, Dexter Gordon, Johnny Griffin, Herbie Hancock, Freddie Hubbard, Jay Jay Johnson, Thelonious Monk, Bud Powell, Max Roach ou Sonny Rollins…
Il y a le producteur Rick Rubin, associé aux aventures des labels Def Jam et Def American, et principalement connu pour son travail dans le milieu du rap et du heavy metal. Parmi ses faits d’armes, la fusion du rap et du hard rock en associant Run DMC et Aerosmith, le lancement d’artistes hip-hop tels Public Enemy, LL Cool J et Run DMC, l’accouchement de l’album révolutionnaire Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers…
Autre personnage-clé, le mythique producteur des années 60, Phil Spector, inventeur du « mur du son » (« wall of sound » en anglais…) - une technique d’enregistrement en mono incluant violons, cuivres, guitares, batteries et percussions et produisant un son immédiatement reconnaissable -, et qui contribua à la carrière tout en forgeant l’identité sonore des Ronettes, Crystals et autres Righteous Brothers (cf les classiques Da-Doo-Ron-Ron, Be My Baby, Unchained Melody…) au point d’influencer profondément Beach Boys et Beatles.
On peut aussi évoquer le prolifique duo créatif constitué par Jerry Leiber et Mike Stoller, auteurs-compositeurs parmi les plus influents dans la musique populaire du 20e siècle. Auteurs de très nombreux classiques tels que Hound Dog, Jailhouse Rock, Ruby Baby, Stand by me, ou encore On Broadway, ils ont été interprétés et repris par des artistes de tous les horizons du blues et du rock : Elvis Presley, Big Maman Thornton, Ben E. King, les Beatles, Peggy Lee, Donald Fagen…
Et le merveilleux saxophoniste ténor Stan Getz, musicien issu du cool jazz qui s’approprie le Brésil et la bossa nova (le fameux titre The Girl from Ipanema, entre autres…), et qui se souviendra longtemps d’une enfance difficile : « Si vous vivez environné d’Irlandais et que vous êtes Juif, on doit vous casser la figure. »
Il y en aurait tant d’autres à citer : les membres du groupe de hard rock Blue Oyster Cult, les punks Ramones, le clarinettiste virtuose Benny Goodman qui popularisa le jazz noir auprès d’un auditoire essentiellement blanc, le chanteur Lou Reed gravitant dans l’orbite de la Factory d’Andy Warhol, Steely Dan façonnant le son californien, le pianiste de blues Johnny Otis…
Concluons sur un personnage emblématique assez admirable : Ahmet Ertegun, fils de l’ambassadeur de Turquie à New York et fondateur du label Atlantic en 1947, qui compte parmi les grandes maisons de disques. D’emblée, Atlantic s’est démarquée par sa capacité à ouvrir les frontières de la musique et à faire sauter les clivages raciaux, à mixer musique blanche et rythmes noirs. Le label et son patron passionné de jazz ont découvert, lancé et signé une pléïade d’artistes dans des genres qui couvrent un large spectre de la musique populaire : Ray Charles, Aretha Franklin, les Drifters, les Coasters, Dr John, les Rolling Stones, Led Zeppelin, Cream, Yes, AC/DC…
Sans doute fallait-il en effet l’intervention de ces passeurs – producteurs, interprètes, compositeurs -, pour que ces musiques populaires remplissent leurs promesses littéraires, stylistiques, soniques et sociales – pour qu’elles sortent du ghetto.

S’il y a des amateurs pour pousser le bouchon de la découverte un peu plus loin, il existe quelques ouvrages instructifs et divertissants :
L’épopée du jazz T. 1 – Du blues au bop, de Franck Bergerot et Arnaud Merlin, Ed. Gallimard
L’épopée du jazz T. 2 – Au-delà du bop, de Franck Bergerot et Arnaud Merlin, Ed. Gallimard
Fuck de Laurent Chalumeau, Ed. Grasset
Free jazz Black power, de Philippe Carles et Jean-Louis Commoli, Folio
L’Odyssée du jazz de Noël Balen, Ed. Liana Levi
Le peuple du blues, de Leroi Jones, Folio

vendredi 16 novembre 2007

Le bleu parfait de Perfect Blue





En ouvrant une série de billets consacrés à la "japanimation" - ou animation made in Japan - il s'agit certes de faire part d'un intérêt, voire d'une passion - qui a aussi été mon métier - à l'aide de quelques films ou séries-phares particulièrement riches. Mais je sens aussi qu'il reste nécessaire de réfuter quelques idées reçues encore trop souvent véhiculées, à la fois sur le dessin animé et sur la production japonaise en particulier. Même si l'on sort ici rapidement du sujet, aujourd'hui comme à l'époque des Lumières, les préjugés perdurent sur bien des questions, et un véritable travail d'information, parfois fastidieux, reste à effectuer.
Parmi les préjugés à remettre en question, tout d'abord une stricte segmentation définitive entre dessin animé et film avec acteurs : le dessin animé est destiné aux enfants (sous-entendu : ce n'est pas très sérieux, ce ne peut être riche, dessin animé = Walt Disney), le film avec de vrais acteurs aux adultes (sous-entendu : c'est plus complexe). Pourtant, des films aussi essentiels et riches que, pour la France, Les Triplettes de Belleville, La Prophétie des Grenouilles, le merveilleux "ancêtre" Le Roi et l'Oiseau de Paul Grimault, les films des studios japonais Ghibli remettent en question cette perception erronée : ils attirent un large public (dans les 1 200 000 entrées pour Le Château Ambulant de Hayao Miyazaki en 2005) constitué d'adultes de toutes générations, et certains d'entre eux n'intéressent pas les enfants - quand ils ne sont pas contre-indiqués à un trop jeune public. Il faut ajouter que les professionnels du cinéma n'utilisent pas le terme "dessin animé", mais "film d'animation" - ce qui dit bien autre chose.
Autre préjugé, accolé à l'animation japonaise depuis les années Dorothée : elle serait "pauvre". Si ce qualificatif peut être appliqué, avec des nuances, à certaines productions de série telles Dragon Ball Z, Goldorak, etc., il importe aussi d'indiquer que l'animation japonaise est un milieu créatif et industriel autrement plus complexe que ce que nombre d'Occidentaux reçoivent et perçoivent ; il existe en effet au Japon
une diversité de formes et de supports reflétant la pluralité d’une production qui ne vit pas le clivage français entre création d’auteur et industrie : longs métrages pour le cinéma, courts métrages d’auteur, créations pour le multimédia et les jeux vidéo, créations originales pour la vidéo (OAV), séries télévisées... Ce sentiment de pauvreté est par ailleurs lié à une esthétique perçue du trait ("affreux") et du rythme ("saccadé") : l'interlocuteur souvent amalgame d'une part à une série "bas de gamme" qu'il a aperçue un univers plus large et des créations autrement plus variées, et il méconnaît d'autre part une esthétique issue d'une culture du dessin (les peintres d'estampe et notamment Hokusai) et du manga qui fournissent depuis longtemps des codes en matière de trait et de rythme permettant au lecteur de saisir très vite une situation, une expression, etc., dans un contexte parfois d'économie (du temps, du papier...). Sont également méconnues les orientations thématiques de cette animation en résonnance directe avec l’imaginaire des jeunes adultes et les questions de société : science-fiction, fantastique, interrogations sur la place de la personne humaine dans le développement industriel et sa relation avec la nature.
Mais le péché mortel de l'animation japonaise dans le discours des détracteurs - qui hélas souvent ignorent tout d'elle - ce serait sa grande violence. Outre le paradoxe éventuel qu'il y a à considérer que "le dessin animé, ça ne m'intéresse pas, c'est pour les enfants" et que la création japonaise est "trop violente", il convient là aussi de ne pas mettre toutes les productions dans le même panier. Par ailleurs, à l'image de certains films de Scorcese ou de Stanley Kubrick par exemple abordant des sujets "adultes" (pouvoir, arrivisme, violence sociale, etc.), pourquoi des films d'animation japonais ne pourraient-ils pas aborder aussi des sujets complexes, montrer des choses désagréables, et à ce titre être destinés à un public, disons, averti ?
Ceci étant une introduction quasi idéale au Perfect Blue de Satoshi Kon, un long métrage sorti en 1999 sur nos écrans. Outre qu'il s'agit à mon sens d'un véritable chef-d'oeuvre, ce film a le mérite de montrer un visage curieusement méconnu de l'animation japonaise, qui n'est ni niais ni facile - mais qui est certes violent. Cependant, la violence de ce voyage au coeur de la schizophrénie et du malaise social japonais vaut bien celle d'un film de Brian de Palma (Blow Out, Pulsions) ou du Hitchcock de Frenzy (rappelez-vous l'étrangleur-violeur à la cravate !)... Ceci vous donne l'ambiance. Mais aussi rappelle que l'on peut divertir et être complexe.
En guise de conclusion, je vous laisse avec cet article déniché à l'époque de la sortie dans Les Inrockuptibles, et qui m'avait convaincu d'aller voir ce sombre bijou en salle :

Film bleu, film parfait, Perfect blue ne dément jamais les promesses de son titre. Avec cette oeuvre réflexive tant dans sa forme que dans son sujet, Satoshi Kon radiographie notre monde des images et élève le dessin animé japonais vers les sommets de l'art cinématographique.

Le dessin animé japonais inspire la plupart du temps des réactions opposées de rejet méprisant ou d'hystérie admirative, dans les deux cas très suspectes. Il faut bien entendu mettre un terme à l'ignorance ou aux préjugés de ceux qui font encore l'amalgame entre l'animation japonaise dans son ensemble et Dragon Ball Z ou autres sous-produits (certes majoritaires) fabriqués et vendus au kilomètre qui pullulèrent un temps sur la première chaîne, accusés de débiliter notre belle jeunesse, de même qu'il convient de garder ses distances avec une église de consommateurs d'images qui ne jurent que par les mangas, les jeux vidéo et la culture cyber. Par chance, les sorties trop parsemées de dessins animés japonais en France (hier Ghost in the shell, aujourd'hui Perfect blue, demain Jin-Roh) ont permis au néophyte d'y voir un peu plus clair et de découvrir une nouvelle forme non négligeable de cinématographie. Car les trois films cités ne sont pas seulement les titres les plus exportables de la production animée nippone, ce sont également quelques-uns des plus beaux, des plus accomplis techniquement, qui peuvent prétendre au double statut de divertissement populaire et d'oeuvre d'art (précisons, de pop-art) à part entière. Il suffira pour les derniers sceptiques d'aller voir Perfect blue pour en être persuadé.

Mima, une jeune chanteuse pop acidulée (membre d'un trio de nymphettes mutines à socquettes blanches comme semble les affectionner le public japonais mâle),décide de mettre fin à sa peu glorieuse carrière dans la variété pour devenir comédienne. Son agent lui trouve un petit rôle d'infirmière dans un feuilleton télévisé inepte, un soap-opera médical standard (peut-être La Clinique du mont Fuji ?). A l'aube de ce nouveau départ, Mima va constater l'altération pernicieuse de sa perception de la réalité, et subir d'inquiétantes hallucinations dans lesquelles apparaît une autre Mima, double qui la renvoie à son image antérieure de vedette pop. Accompagnées de menaces invisibles, et de la colère d'un fan déçu qui dévoile dans les détails sa vie privée sur Internet, puis par les meurtres sadiques de son entourage, ces visions vont peu à peu faire plonger Mima dans la paranoïa et la schizophrénie.

Perfect blue, réalisé en 1997, est indubitablement une date dans l'histoire du cinéma d'animation, précédée d'une réputation délirante : depuis deux ans, tous les fans d'anime (c'est ainsi que l'on nomme, si l'on souhaite passer pour un spécialiste, les adaptations cinématographiques des bandes dessinées japonaises, ou mangas) considèrent Perfect blue comme le chef-d'oeuvre du genre. Ils ont raison. Perfect blue ne déçoit en rien notre impatience et devrait séduire les cinéphiles, y compris ceux qui se sentent assez peu concernés ou séduits par les dessins animés. Le film bénéficie du savoir-faire époustouflant de la meilleure école de l'animation japonaise. En effet, le réalisateur Satoshi Kon a longtemps collaboré avec Katsuhiro Otomo (créateur d'Akira, première révélation de l'anime au grand public occidental) en travaillant sur les scénarios et les décors d'anime de science-fiction réalisés ou supervisés par le Maître : Roujin Z (une histoire d'alliage entre l'homme et la machine spectaculaire comme du Cameron et tordue comme du Cronenberg), Memories (un space-opera à sketches qui fait référence à 2001 : l'odyssée de l'espace) et aussi Ghost in the shell de Mamoru Oshii, classique instantané qui, à la manière de Perfect blue mais dans un tout autre registre, est parvenu à transcender les contraintes narratives et techniques de l'animation traditionnelle pour imposer de nouveaux rythmes, de nouvelles sensations, de nouvelles pensées.

Mettons de côté l'importante production de l'anime pour adultes au Japon, qui décline dans tout les genres (science-fiction, fantastique, policier, action, comédie érotique) un cocktail très corsé de sexe et de violence, dans une escalade imaginative – mais souvent pauvrement mise en images – nécessaire pour rassasier une foule d'ados en rut ou de salarymen frustrés ; les principales oeuvres maîtresses de l'animation (mis à part des contes poétiques comme le très beau Tombeau des lucioles) appartiennent au registre de la science-fiction cyber. Le dessin permet en effet un affranchissement constant aux contingences du réel et la suppression de certaines contraintes matérielles dans l'invention de machines et cités futuristes. Une oeuvre comme Ghost in the shell, non seulement par son intelligence mais aussi son univers visuel, dépasse sans difficulté les expériences précédentes de Blade runner et des innombrables mauvais films copiés sur celui de Ridley Scott.

La réussite de Perfect blue se situe à l'opposé de cette démarche. Si le film doit être vu comme une date révolutionnaire dans l'histoire de l'animation, ce n'est pas parce qu'il aborde des thèmes adultes et profonds (la perte de soi, l'aliénation médiatique), mais parce qu'il propose également une approche réflexive de l'anime, par l'intermédiaire d'un récit qui laisse davantage de place à l'introspection qu'à une orgie d'effets pyrotechniques. Les procédés d'animation ne sont plus ici au service d'une imagination de démiurge, mais de la description d'un état mental, de l'intimité psychique d'une jeune fille qui ne parvient justement plus à distinguer le réel du virtuel. Il faut alors percevoir l'ironie d'un film qui, parce qu'il est déjà une oeuvre d'animation, brouille à plaisir les repères du spectateur, qui partage avec la frêle héroïne son désarroi et son égarement. En effet, que pouvons-nous bien juger comme réel dans un dessin animé ? Ce récit de terreur psychologique utilise un répertoire relativement sobre pour un film d'animation, ce qui rend son déroulement plus angoissant encore, la folie s'immisçant dans la sagesse du trait. Film purement cérébral, Perfect blue ne renonce pourtant pas – le pourrait-il ? – à la violence graphique et assène quelques meurtres sanglants qui ne sont pas sans évoquer les mises à mort stylisées des thrillers d'épouvante de Dario Argento. Le cinéaste italien a souvent évoqué l'influence de Walt Disney à propos des couleurs rouges et bleues, des éclairages tranchés et vifs de ses films rageusement irréalistes. Et voilà qu'un anime japonais (pays déjà réputé pour l'enfer d'un cinéma à la violence insensée) vient boucler l'histoire mouvementée du film criminel, qui ne serait pas tout à fait la même sans l'Italie et le Japon !

Mais le plus fascinant dans Perfect blue, car le plus inattendu, concerne sa construction, qui se permet des audaces narratives incroyables, comme ces scènes refrains qui viennent conclure à répétition plusieurs moments du film et enferment l'héroïne dans sa folie. Les multiples dénouements de Perfect blue se révèlent être des rêves, ou alors des scènes du (télé)film dans le film, inlassablement suivies par le même plan montrant Mima se réveiller dans son lit. Ces boucles temporelles ne sont pas sans rappeler un film très expérimental comme Je t'aime, je t'aime. Perfect blue parvient donc à concilier les recherches temporelles d'un Resnais et l'efficacité d'un thriller psychologique, dépassant De Palma (celui de L'Esprit de Caïn) et Polanski (celui de Répulsion et du Locataire) dans l'art de la mise en abyme.

Film réflexif dans sa forme, Perfect blue l'est aussi dans son contenu et s'enrichit d'une dimension sociologique qui n'est pas négligeable puisqu'elle semble directement interpeller les groupies du film. Anime sur une société qui pousse la consommation spectaculaire jusqu'à l'obsession, la dépendance et la folie, Perfect blue se permet, tout en offrant – avec élégance – la dose de sexe et de brutalité requise dans ce type de divertissement, de présenter une caricature de l'accro de mangas avec le personnage d'Uchida, le Mimaniac (maniaque de Mima), individu moche, solitaire et anonyme transi d'amour pour sa petite idole qui minaude dans les charts. Au Japon, on appelle "otakus", terme que l'on pourrait traduire par "fans autistes", ces hommes emmurés qui fuient les relations sociales et humaines pour vivre jusqu'au bout leurs passions exagérées de collectionneurs ou de fans (il existe aussi bien des otakus de dessins animés que de maquettes, de timbres ou d'autobus !). Ce film où il n'est question que de fantasme médiatique, de dédoublement de personnalité, d'enveloppe virtuelle (a-t-on jamais vu un film sans prise de vue réelle, sans acteur, à ce point obsédé par l'idée d'incarnation ?), où le corps et l'esprit sont sécables (comme Ghost in the shell, Perfect blue est aussi une belle histoire de fantômes), décortique en fait les phénomènes de dépendance et de fascination provoqués par toutes ces machines à rêver, fabriquées dans le seul but de rassasier notre besoin quotidien d'images et de sons. Film bleu dans lequel mental rime avec métal, film parfait au-delà du raisonnable, Perfect blue ne trahit à aucun moment l'ambition et la beauté de son titre.

OLIVIER PÈRE
08 septembre 1999
© Les Inrockuptibles - Archive du magazine 442, du 08/09/1999, page n° 52





jeudi 15 novembre 2007

Pas de requiem pour les Soprano

Six saisons, 86 épisodes et 18 Emmy Awards. Récemment achevée, la série Les Soprano est encore une production HBO (à l'instar de Six Feet Under) et un formidable succès critique et public. Illustration, heureusement, qu'il est encore possible d'être créatif, intelligent, et d'avoir du succès, même à la télévision.
Lancée en 1999, Les Soprano raconte l’histoire de Tony Soprano, chef de la mafia italo-américaine du New Jersey. Loin d'être une resucée du Parrain ou des oeuvres mafieuses de Scorcese, la série va plus loin : ledit Tony est en proie à de graves crises existentielles qu’il confie, non sans réticence, à sa psy, le Dr. Jennifer Melfi (Lorraine Bracco). Et bien entendu, hors de question d'exhiber à son équipe sa déprime, ni les visites au psy lors des crises de panique : trop risqué.
Comme les autres productions HBO, la série a également introduit une forme de réalisme dans les fictions américaines.
Les Soprano est diffusée sur le câble, bien loin des carcans moralisateurs des chaînes hertziennes : les personnages peuvent donc être grossiers et violents. Le personnage principal est d'ailleurs un anti-héros chargé d'ambiguïté : bien qu'étant par ailleurs un criminel de profession, il s’intéresse aux documentaires historiques et porte une affection toute particulière aux canards. Et c'est un bon père de famille. Et puis, la grande réussite des Soprano réside à montrer et dire les petits riens, la vie de tous les jours : les enfants qui grandissent, les parents qu'on déteste. La mafia n'est qu'un prétexte. Ce dont on parle vraiment, c'est du quotidien d'une famille à problème(s), avec des "personnages (...) provinciaux et plutôt limités" : "ils n'essaient pas d'accomplir grand-chose à part rester en vie et gagner beaucoup d'argent ; ils ne voyagent guère, ne lisent pas plus, restent tout le temps dans leurs mêmes quartiers ; il n'y a pas de crime ou de grosse opération mafieuse à chaque épisode», comme le résume l'auteur David Chase (extrait du magazine Vanity Fair).
Si vous ne connaissez pas encore la série, précipitez-vous. Outre qu'elle est au moins aussi brillante que par exemple Six Feet Under, vous la dégusterez pour diverses raisons, et notamment :
- pour le grand tourment des Soprano, menacés par la dépression ou l'anxiété : le mensonge. Les personnages mentent à la société (officiellement, Tony et ses acolytes s'occupent de retraitement d'ordures, même s'ils sont constamment filés par le FBI) ; les hommes mentent à leurs femmes à propos de leurs maîtresses ; les épouses se mentent à elles-mêmes de ne rien voir ; les enfants dissimulent presque tout à leurs parents ; les mafieux de Tony ne cessent d'enfumer les mafieux des autres clans, qui le leur rendent bien.

- pour la représentation quotidienne, anti-glamour, de la mafia italo-américaine. Le personnage principal, Tony Soprano, est doté d'un embonpoint et d'une calvitie avancés, d'une voix nasillarde de canard et d'une respiration de tuberculeux ; sa femme, Carmela, porte des tenues «nouveau riche» toujours plus drôles ; la plupart des enfants et adolescents de la série affichent un net surpoids ; les hommes de Tony se disputent l'honneur d'être le plus moche/violent/buté/gros/vieux, à tel point que toutes les chaînes hertziennes américaines refusèrent le projet à la fin des années 90, réclamant «des Italiens jeunes et sexy, pas des cinquantenaires adipeux sous Prozac», raconte un collaborateur de David Chase.

Les Soprano : sans doute une des plus grandes séries jamais écrites pour la télévision. Critiques, spécialistes de cinéma et d'art contemporain (la série a eu droit à une exposition au MoMA new-yorkais) s'accordent à la placer au même niveau que les grands oeuvres de Coppola ou Scorsese, entre le (s) Parrain (s) et les Affranchis, c'est dire...

Delpêchons-nous de rigoler

Une des blagues les plus réjouissantes du net, c'est le site Delpech Mode. Delpech Mode, ce sont des gugusses qui mixent, en les parodiant, Michel Delpech et Depeche Mode, "grâce à des clips recréant à la perfection la ringardise des années 80", selon le chroniqueur "Nouvelles Technologies" de mon cher Télérama. A hurler de rire, pour rester poli. Visionnez un peu "Just can't j'étais chanteur" et "Enjoy the Loir et Cher" pour voir comment ces gars démontent le grotesque de clips qui se prenaient pourtant au sérieux "arty". Ces potaches font à l'électro de Depeche Mode ce que le film "Spinal Tap" a fait au heavy metal, c'est dire. Et ça fait mal !
Comme ils le disent eux-mêmes : "mi-delpech, mi-mode : 100% delpech mode !"
Après ça, vous mourrez d'envie de télécharger les "sonneries canines" pour votre téléphone !

C'est par en dessous pour y aller :
http://delpechmode.com/heaume.php

samedi 10 novembre 2007

Des pépites six pieds sous terre !

Connaissez-vous la série américaine Six Feet Under ? Pour nous, c'est un modèle d'écriture, c'est original : une de ces séries qui affichent des ambitions que le cinéma américain, bien souvent, ne revendique plus. Si vous connaissez - et appréciez -, pas la peine d'aller plus loin. Sinon, nous vous invitons à poursuivre avec cette courte chronique trouvée dans le Monde :

A sa création (en 2001, sur la chaîne du câble HBO), la série américaine "Six Feet Under" avait surtout frappé par une irrévérence et un humour noir que son créateur, Alan Ball, avait déjà manifestés dans le scénario du film American Beauty (Sam Mendes, 1999). La troisième saison, qui vient de paraître en DVD, donne la mesure de l'originalité de cette remarquable série. Elle n'a guère à voir avec le recours, efficace mais secondaire, à l'ironie ou à la provocation.

Parce que ses personnages principaux travaillent dans une entreprise de pompes funèbres, "Six Feet Under" montre précisément tout ce que la télévision (en cela, exact reflet de la société contemporaine) refuse d'ordinaire avec l'énergie du désespoir : la présence, dans la vie de chacun, de cadavres, de cercueils et de larmes ; la douleur, l'insoutenable lenteur du deuil. Sous le soleil radieux de Californie, les frères Fisher, Nate (Peter Krause) et David (Michael C. Hall), accueillent, jour après jour, de nouveaux cadavres.

Toute la famille (les deux frères comme leur mère, Ruth, et leur soeur, Claire) est hantée par le souvenir du père, un homme dangereusement à l'aise avec la mort. C'est aussi la mort ­ celle de chaque futur "client" des Fisher ­ qui ouvre chaque épisode.

Ainsi, au fil de la série, un sentiment précis gagne le spectateur : celui de la quotidienneté de la mort, sentiment qui était jusqu'alors l'apanage de cette famille dont la cave sert à embaumer des cadavres. Ce principe est aussi un tour de force scénaristique : chacune de ces séquences introductives réussit à surprendre. Prenons, par exemple, cette scène anodine au début de "Coup du destin" : un homme tente d'allumer sa cuisinière à gaz. Le spectateur averti sourirait presque, tant la suite est facile à deviner. A l'évidence, le malheureux va se montrer imprudent, et succomber à un accident domestique. Mais le téléphone sonne, notre homme engage la conversation avec l'inconnu qui lui propose un sondage. Soudain, des coups de feu retentissent : à l'autre bout du fil, l'entreprise de télémarketing est victime d'un tireur fou. Le mort ne sera pas celui qu'on croyait.

Peut-être parce que, plus que d'autres, ils ne sauraient oublier qu'ils sont mortels, les membres de la famille Fisher se débattent avec une belle intensité dans les difficultés du quotidien, un mariage malheureux pour Nate, une trop grande solitude pour Ruth. Comme David le répète volontiers, "les enterrements ne sont pas pour les morts, mais pour les vivants". En parlant de la mort, Alan Ball ne fait, au fond, que parler de la vie.

© Le Monde - Florence Colombani
Article paru dans l'édition du 15.04.05

jeudi 25 octobre 2007

La vie en rose ?

Pour vous faire une idée d'une certaine vie dorée, je vous invite à visionner ces reportages plutôt édifiants (quand bien même si c'est de la production TF1 sensationnaliste pur jus) :
http://www.dailymotion.com/video/xrk9r_sarkozy-jeunesse-doree-nappy-sociol_events
http://www.dailymotion.com/related/1285983/video/x1ydx8_la-vie-de-la-jeunesse-doree-1_fun

Conclusion : Auteuil-Neuilly-Passy, tel est notre ghetto !
http://www.dailymotion.com/relevance/search/inconnus/video/xie48_les-inconnus-auteuil-neuilly-passy

Et si l'on parlait privilège ?

En ces temps de réformes où l'on parle d'abolir certains "privilèges" et autres "avantages acquis" (notamment les statuts spéciaux), où il est devenu commun - parfois à juste titre - de mettre en cause des fonctionnements de caste, il paraît plus que jamais nécessaire et salutaire de prendre du recul, de s'interroger sur la notion même de "privilège" et sur ces injonctions faites à l'individu contre le sens du collectif, tout en rappelant certains fondamentaux à l'appui de documents et d'études socio-économiques sérieuses.

Les éléments qui suivent ne prétendent à rien d'autre qu'à être des pistes de réflexion, de mise à distance des "idées reçues" et autres généralités souvent prononcées, rarement creusées.

Commençons par quelques citations intéressantes :
"Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent d’une essence supérieure."
Pierre Bourdieu - Questions de sociologie

"Les inégalités forment système. C'est-à-dire qu'elles s'engendrent les unes les autres ; elles constituent un processus cumulatif au terme duquel les privilèges s'accumulent à l'un des pôles de l'échelle sociale tandis qu'à l'autre pôle se multiplient les handicaps ; et elles tendent à se reproduire dans le cours des générations."
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn - Déchiffrer les inégalités (1999)

"Les bourgeois sont riches, mais d’une richesse multiforme, un alliage fait d’argent, de beaucoup d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestige. Comme les difficultés sociales se cumulent, les privilèges s’accumulent."
Michel Pinçon et Monique Pinçon–CharlotSociologie de la bourgeoisie (2000)

Un privilège, ce peut être de cultiver par exemple l'entre-soi dans un espace socialement délimité, voire clos - d'entretenir son capital social pour parler comme Bourdieu. Curieusement, dans le cas de nos banlieues, on n'hésiterait pas à pointer du doigt un "communautarisme" dangereusement connoté. Sur cette forme de privilège jalousement maintenu, voir ci-après l'article assez éclairant "Comment les riches ont fabriqué leurs ghettos" (article publié par Télérama le mardi 16 octobre 2007) :

Si les frontières de la pauvreté fluctuent, le cercle des riches est bien délimité. Auteuil, Neuilly, Passy : on reste entre soi au même endroit. Vous avez dit communautarisme ?

Le mot a surgi en France vers le milieu des années 80. Un beau jour, entre deux « révoltes urbaines » - les Minguettes en 1981, Vaulx-en-Velin en 1990 - la « banlieue » est devenue « ghetto ». Dans la foulée des journaux télévisés et des couvertures de news magazines, d'éminents urbaniste (Roland Castro), démographe (Hervé Le Bras), sociologue (Alain Touraine) ont à l'unisson évoqué le « piège » ou le « syndrome » américain... « Scientifiquement frauduleux et politiquement irresponsable ! » s'est offusqué un sociologue français implanté aux Etats-Unis, Loïc Wacquant, qui a établi point par point le peu de pertinence de cette comparaison : aucune cité française n'atteint le dixième de la taille d'un de ces centres-villes dans lesquels sont parqués les Noirs américains abandonnés par l'Etat ; les dispositifs sociaux mis en place en France – depuis trente ans et la politique plus récente de rénovation urbaine n'ont pas d'équivalent outre-Atlantique ; les taux de mortalité infantile, de criminalité, le nombre de chômeurs, de familles monoparentales, les chiffres de la drogue ne sont absolument pas comparables ; les habitants des cités « travaillent et consomment à l'extérieur de leurs cités », entrent en contact avec d'autres couches de la population ; et surtout, les cités françaises, ethniquement hétérogènes, ne sont porteuses d'aucune demande de reconnaissance communautaire : « Tout au contraire, les revendications de leurs habitants sont foncièrement sociales, ayant trait non pas à la différence ou à la "diversité", mais à l'égalité face à la police, à l'école, au logement, à la santé et surtout à l'emploi. »

Ce constat déjà ancien d'une banlieue multiple et en pleine mutation vient d'être conforté par le récent travail de deux sociologues engagées dans le mouvement associatif, Sophie Body-Gendrot et Catherine Wihtol de Wenden, qui donnent ce chiffre surprenant : « Entre 1990 et 1999, 61% des habitants de ZUS – (zones urbaines sensibles) - ont changé de logement, et les deux tiers de ceux-ci ont définitivement quitté la ZUS... » Ils l'ont fait malgré les réseaux de transport restreints, les discriminations en tout genre. Ce que nos deux sociologues appellent « la tyrannie des territoires » s'est trouvé renforcé par une autre logique, idéaliste –celle-là : « Les acteurs de la politique de la ville ont cherché à promouvoir des modèles de citoyenneté fondés sur la valorisation de l'espace local. » On a mis en place des médiateurs civiques, des intermédiaires culturels. On a cherché à « attacher les habitants à leurs cités plutôt qu'à les aider à en sortir ». Pourtant, ceux qui ont réussi « à échapper au déterminisme de l'appartenance » sont bien ceux qui ont quitté la cité...

Car une chose est sûre, comme le constatait il y a trois ans déjà l'économiste Eric Maurin : « Le territoire s'est imposé ces dernières années comme le révélateur des nouvelles inégalités. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, moins visibles que les frontières de la pauvreté, ce sont les stratégies d'évitement, « les ruses de l'esquive » qui expliquent la ségrégation. Pour Eric Maurin, il y a bien un « ghetto français », mais ce ghetto n'est pas tant « le lieu d'un affrontement entre inclus et exclus que le théâtre sur lequel chaque groupe s'évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés ». Ce ne sont pas seulement les ouvriers qui fuient les chômeurs immigrés : les salariés les plus aisés fuient les classes moyennes supérieures, lesquelles esquivent les professions intermédiaires, qui s'écartent des employés, etc. Si le territoire est l'enjeu d'une compétition aussi âpre, poursuit Maurin, c'est qu'il est déterminant : « On ne se bat pas seulement pour des espaces plus "sûrs", des logements de qualité ou des équipements de proximité, mais encore et peut-être avant tout pour des destins, des statuts, des promesses d'avenir... » Et les gagnants sont ? « Les élites sociales et culturelles qui mobilisent toutes leurs ressources pour se mettre à l'écart ! » En premier lieu, les cadres supérieurs du privé, qui, en raison du fort accroissement de leur pourcentage dans la population, accaparent de nouveaux pans de l'espace urbain et repoussent les classes moyennes vers les périphéries.

On a donc bien affaire à une « ghettoïsation par le haut ». Mais Eric Maurin arrête son analyse aux classes supérieures du salariat. Et les très riches ? Dans leur féroce et savoureux dernier ouvrage, Les Ghettos du gotha, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, couple de sociologues qui travaillent depuis vingt ans sur la grande bourgeoisie, décrivent un monde d'agrégation et de ségrégation sans équivalent dans aucune autre classe sociale : « L'habitat des familles les plus fortunées est concentré dans quatre arrondissements de l'ouest de la capitale, le 7e, le 8e, le nord du 16e et le sud-ouest du 17e, plus Neuilly, archétype de la banlieue chic, dont on trouve quelques autres exemples dans le prolongement des beaux quartiers vers l'ouest. » Ce contrôle de l'espace est tel qu'il va jusqu'à l'appropriation privée d'espaces publics, quelques dizaines d'hectares au bois de Boulogne, abritant les fameux clubs, le Jockey, le Polo... Mais où commence et où s'arrête le cercle des riches ? « Les grandes familles n'ont pas besoin de statisticiens ou de sociologues pour définir les frontières de leur groupe. Elles font elles-mêmes le travail par le biais d'un processus de cooptation dans les rallyes, les cercles et les conseils d'administration. Et plus généralement à l'occasion de toutes les formes de sociabilité, dans le choix du quartier de résidence, des établissements scolaires et des lieux de vacances » Les raisons d'un tel entre-soi ? « On ne peut longtemps rester riche tout seul. » En clair, la richesse économique, « pour durer et être transmise, doit être légitimée par de la richesse sociale ». Mieux : « On est plus riche parmi les riches. Habiter les beaux quartiers, c'est à la fois jouir de l'ensemble des richesses ainsi regroupées et bénéficier de la valorisation, matérielle et symbolique, de son propre domicile par la proximité de tous les autres. » Cette façon de préserver son environnement social est pour les riches si évidente que « leur apartheid inversé fait oublier aux habitants de Neuilly qu'ils vivent en "banlieue", dans un "ghetto" (pour riches) et pratiquent un intense "communautarisme" (entre gens de même naissance), toutes expressions qui renvoient instantanément dans le 9-3, à Saint-Denis, Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois... »

Regroupée, étanche, mobilisée, cette ethnie qui peut paraître désuète - avec ses clubs, ses cercles, ses rallyes... - est en fait d'une formidable modernité : depuis toujours cosmopolite, « internationale avant l'Internationale ouvrière », la grande bourgeoisie a une longueur d'avance dans la mondialisation. Une longeur d'avance, aussi, dans les nouveaux combats de protection du patrimoine : « Parce qu'elle contrôle les espaces les plus précieux, parce qu'elle possède les demeures, les oeuvres et les ancêtres qui ont fait la richesse de la France », elle se paye même le luxe d'incarner l'intérêt général : faire recouvrir la RN 13 à Neuilly aux frais de l'Etat, ou obtenir que l'autoroute ne passe pas près du château, n'est-ce pas pour le bien de tous ? Véritable plongée au coeur de la dernière classe sociale à avoir une telle conscience d'elle-même et à militer aussi activement à son maintien, l'enquête des Pinçon-Charlot est d'autant plus salutaire que la priorité accordée par leurs confrères sociologues aux problèmes sociaux, et donc aux catégories vivant le chômage, la précarité, la discrimination, sied parfaitement à une caste qui cultive le bon goût de vivre sa domination dans la discrétion : « Parce qu'elle sait très bien qu'il ne faut pas agacer le peuple ! » rappellent les Pinçon-Charlot. « Le problème de la grande bourgeoisie, aujourd'hui, c'est que Nicolas Sarkozy a fait beaucoup trop de publicité sur les mesures en sa faveur. Car, pour fonctionner, le pouvoir a besoin d'être méconnu. » Aux sociologues de le dévoiler. En rappelant, par exemple, qu'un ghetto peut en cacher un autre...
Vincent Remy

A lire: Les Ghettos du gotha, de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, éd. du Seuil, 300 p., 19 EUR.Parias urbains, de Loïc Wacquant, éd. La Découverte/Poche, 330 p., 12 EUR 50.Sortir des banlieues, de Sophie Body-Gendrot et Catherine Wihtol de Wenden, éd. Autrement, 126 p., 13 EUR. Le Ghetto français, de Eric Maurin, éd. du Seuil, coll. La République des idées, 96 p., 10 EUR 50.

© Télérama - www.telerama.fr/monde/20627-comment_les_riches_ont_fabrique_leurs_ghettos.php

J'ai aussi déniché un article particulièrement éclairant dans Le Monde Diplomatique, "Sur la piste des nantis", qui, même s'il date de 2001, remet certaines pendules à l'heure :

Sur la piste des nantis

Trop de protection tue la protection. Tel est le credo de M. Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons français, qui confirme sa volonté de quitter la gestion paritaire de la Sécurité sociale. Et de prôner l’individualisme le plus forcené... pour les autres. Car, quand il s’agit de leurs propres vies, les riches organisent leur protection, mettent en place des systèmes clos de régulations collectives, sans craindre d’utiliser cet Etat-providence si souvent dénoncé. A l’heure où l’on salue « la disparition des classes », la bourgeoisie se comporte comme un groupe uni qui assume ses alliances, ses manières de vivre, l’éducation des futurs héritiers et qui exprime ses intérêts collectifs et les gère, à travers une sociabilité de tous les instants. Une classe consciente d’elle-même qui défend ses privilèges et définit ses propres frontières.

Les Portes-en-Ré, une île dans l’île. Entourée par la mer et les marais salants, à la pointe extrême de l’île de Ré, cette commune peu fréquentée par les touristes ordinaires est devenue un des lieux de ralliement des familles de la bourgeoisie. Séduites par le climat et le charme des petites habitations basses avec leurs cours et leurs jardins secrets, elles achètent les maisons du vieux village. Une telle concentration dans un si petit bourg, cela se remarque : le samedi matin, sur le marché, et surtout le dimanche où deux messes se succèdent et remplissent à chaque fois l’église. Venant des beaux quartiers de Paris, de Bordeaux ou de Lyon, toute cette bonne société se montre dans le plaisir extrême d’être ensemble.

Une grande homogénéité des hexis corporelles, c’est-à-dire des manières de tenir son corps et de le présenter, frappe au premier abord. Des corps bronzés, droits et redressés, des enfants aux vieillards. Des vêtements d’été, certes, mais toujours sobres.

On se connaît. Chacun se salue, tout le monde bavarde longuement sur le parvis à la sortie de la messe, des groupes se forment à la terrasse du café Bazenne pour l’apéritif dominical. Une société enjouée,
ravie d’être rassemblée et de pouvoir être elle-même à l’abri du regard des importuns.

Dans un entre-soi toujours soigneusement contrôlé, les membres de la haute bourgeoisie fréquentent les mêmes lieux dans un chassé-croisé au rythme variable selon les saisons, l’âge ou les obligations professionnelles.

De telle sorte que les salons parisiens, les villas des bords de mer, les chalets de montagne, les châteaux forment un vaste espace quasi public pour la bonne société, qui y vit entre elle avec le même plaisir et la même aisance qu’elle a à se retrouver dans les cercles, tels, à Paris, l’Automobile Club, place de la Concorde, ou le Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Tout en manifestant ce collectivisme pratique, la grande bourgeoisie prône l’idéologie de l’individualisme. La référence au marché, à la concurrence, à la compétition, apparaît prépondérante dans les discours des dominants, alors même que leurs pratiques en sont bien éloignées. Symbole de ce double langage, le baron Ernest-Antoine Seillière, inventeur de la refondation sociale prônée par le Mouvement des entreprises de France (Medef, ex-CNPF) et parfait représentant de la vieille bourgeoisie fortunée (lire « La saga des Seillière »).

Au coeur de la logique patronale, la volonté d’individualiser les rapports entre le salarié et l’entreprise est manifeste. Les relations contractuelles ne doivent plus être brouillées par la présence de l’Etat, ou de lois et règlements qui empêcheraient la libre expression des intérêts de chacun. Il s’agit là d’une vieille rengaine, sous couvert de modernisme et de changement. Victorieuse en 1789, la bourgeoisie ne s’y était pas trompée, et avait voté dès le 14 juin 1791 la loi Le Chapelier qui interdisait non seulement les corporations, mais aussi les organisations ouvrières.

Aujourd’hui, il n’est plus question d’interdire les syndicats ouvriers et autres organisations, y compris patronales. Mais, de manière plus feutrée, ce sont les formes collectives de dialogue social qui sont visées. Le changement de dénomination du Centre national du patronat français (CNPF) en Medef n’est pas innocent. Le patronat, un singulier qui désigne un ensemble d’agents sociaux auxquels on peut supposer une certaine unité de vues, est remplacé par les entreprises, un pluriel d’entités individualisées. Le dynamisme des entrepreneurs et de leurs « collaborateurs » est ainsi mis en avant, par opposition aux pesanteurs et à l’inefficacité, régulièrement dénoncées par le Medef, des interventions et des actions publiques.

Il faut donc « revitaliser le dialogue au plus près du terrain, c’est-à-dire dans l’entreprise », comme l’a déclaré le président du Medef lui-même, s’exprimant devant l’Académie des sciences morales et politiques, le 4 décembre 2000. Selon l’organisation patronale, « l’entreprise devrait devenir le lieu primordial de la négociation, primant donc sur celui de la branche et a fortiori sur les niveaux interprofessionnel et législatif, et l’individu devrait jouer un rôle majeur, côté salariés (1) ». Cette orientation tourne le dos au fondement même du progrès social, c’est-à-dire à la dimension collective de droits et de propriétés (équipements sociaux, logements aidés...) qui assurent la protection de l’individu ne disposant que de sa force de travail. Comme l’écrit Robert Castel, on assiste depuis quelque vingt-cinq ans au « développement d’un nouveau processus d’individualisation qui remet en
question les appartenances collectives des individus. C’est la condition même des individus - ou du moins de ces individus qui avaient acquis leur consistance grâce à la propriété sociale - qui risque alors d’être remise en question (2) ».

L’injonction d’individualisation - pour les autres - s’accompagne d’une injonction de modernité. Foin des traditions professionnelles ou locales et de la mémoire collective ! A la manière du duc de Brissac, qui fustigeait le passéisme des salariés et ses postures casanières stérilisantes, mettant en danger l’entreprise : « Ils sont sédentaires et collent à leur site comme la patelle à son rocher », écrivait-il en 1986, peut-être confortablement installé dans la bibliothèque de son château de Brissac, propriété de la famille depuis plusieurs générations.

En ces temps de restructuration, de délocalisation et de mondialisation, les capitalistes souhaitent des salariés disposés à suivre les vagabondages du capital. Dans les limites de l’Hexagone pour les moins qualifiés, et bien au-delà pour l’encadrement. Evidemment, la mobilité n’est pas la même selon qu’elle est contrainte ou choisie, selon qu’elle est une condition de survie ou qu’elle fait partie d’un mode de vie et d’une identité.

Entre soi, des havres de paix

Les familles grandes bourgeoises ont, elles, une caractéristique récurrente, la multiterritorialité : leur vie s’inscrit dans plusieurs résidences (appartement parisien, maison familiale ou château en province, et autres villas dans des lieux de villégiature...). Le duc de Brissac, grand voyageur, disposait toutefois d’une maison familiale où se ressourcer. Polytechnicien, ayant épousé May Schneider, héritière du groupe homonyme dont il se retrouva le PDG, il fut au plus haut point irrité par ces ouvriers licenciés refusant d’aller prendre l’emploi qu’on leur proposait à quelques départements de distance, lui qui n’hésitait pas à parcourir la France et le monde, pratiquant la vénerie et la chasse à tir, participant aux croisières mondaines, hauts lieux de gestion du capital social.

Cette gestion du capital social caractérise cette classe dont il constitue l’une des richesses. L’inventaire des participants aux convois funéraires, aux cérémonies de mariage, aux conseils d’administration, aux dîners et autres festivités met en évidence une accumulation fastueuse de pouvoirs et de prestiges. Les 387 participants à la fête donnée par M. Ernest-Antoine Seillière à l’occasion de son cinquantième anniversaire, en 1987, dans les salons du Musée Grévin, en sont une parfaite illustration. Sans être exhaustif, on citera la présence de MM. Michel David-Weill (Banque Lazard), André Bettencourt (ancien ministre, dont la femme, Liliane Bettencourt, née Schueller, est l’héritière du fondateur de L’Oréal, et à ce titre détient la plus grande fortune française), Philippe Bouriez (groupe Cora-Revillon), Jean-François Lemoine (propriétaire de Sud-Ouest), Edouard de Ribes (groupe Rivaud, gendre de M. Jean de Beaumont, président du Cercle de l’Union interalliée, et lui-même vice-président de ce cercle), Guy et David de Rothschild, Jean-Pierre Soisson (ancien ministre), Pierre-Christian Taittinger (maire du 16e arrondissement de Paris, propriétaire d’un empire viticole et hôtelier, dont le Crillon et la chaîne Campanile).

En outre, ce capital social, autrement dit leur système de relations, s’étend bien au-delà des frontières nationales : par les alliances matrimoniales, les études dans des établissements internationaux (collèges suisses notamment), les relations d’affaires, les croisières ou les chasses aux grands fauves, leur mode de vie s’épanouit dans un espace très large. Avec cependant la capacité d’inscrire cette mobilité (qui peut être de longue durée, à l’occasion d’études à l’étranger...) dans des espaces où l’homogénéité sociale est assurée. Les palaces reconstituent, en tous lieux, des havres de paix et d’entre-soi, comme La Mamounia loin de la chaleur et du tohu-bohu de Marrakech.

Le discours sur les avantages acquis et la remise en question de formes sociales de protection ou de propriété entre en contradiction avec l’usage réel que les classes les plus favorisées en font elles-mêmes. Les déclarations sur le « moins d’Etat » sont peu cohérentes avec des pratiques qui puisent dans les fruits de l’intervention publique, qui se servent largement des biens publics.

La recherche d’un « job », par exemple, permet d’accéder à la Sécurité sociale, pour soi et sa famille. On trouve des descendants de grandes familles dans la presse ou dans des cabinets de consultants, qui obtiennent ainsi une couverture sociale leur ouvrant l’accès aux soins les plus coûteux.

L’utilisation des équipements collectifs relève de la même logique, à cela près qu’elle ne suppose pas de contrepartie. Grands voyageurs, les bourgeois sont de fréquents usagers des infrastructures publiques liées aux transports : aéroports, ports et routes. On notera aussi l’usage des établissements scolaires les plus prestigieux. Le recrutement de l’Institut d’études politiques de Paris, de l’Ecole
nationale d’administration (ENA), de Polytechnique, de Centrale, de l’école des Hautes études commerciales (HEC), est loin d’être démocratique. Les grands équipements publics socioculturels, musées, théâtres, opéras, sont largement utilisés par ces familles qui entretiennent une relation privilégiée avec ce type de culture. Et elles sont les seules à pouvoir se ménager des niches réservées dans des espaces collectifs, comme elles le font avec les concessions qui accordent à leurs clubs l’usage exclusif d’hectares du bois de Boulogne, par exemple.

Le traitement des espaces publics est aussi révélateur d’inégalités profondes dans les conditions de vie générées par l’intervention des administrations locales. Ainsi, à Paris, le périphérique, et son vacarme incessant, est couvert dans les quartiers de l’Ouest, ceux de la bourgeoisie, alors qu’il est à l’air libre dans de nombreux autres secteurs. La voirie est différente entre les beaux quartiers et les arrondissements pauvres. Les avenues larges et aérées de l’Ouest contrastent avec les rues étroites et encombrées des secteurs où la population immigrée est particulièrement nombreuse.

Cependant, la grande bourgeoisie apparaît, sous certains rapports, très hétérogène. Des inégalités se font en effet sentir dans toutes les formes de capitaux qui contribuent à fonder l’appartenance objective au groupe, qu’il s’agisse de richesses matérielles, culturelles, sociales ou symboliques (lire « Qui sont les riches ? »).

Dans le domaine du capital scolaire, certains grands bourgeois sont d’anciens élèves d’écoles prestigieuses, comme Polytechnique ou l’ENA. Le duc de Brissac était polytechnicien et PDG du groupe Schneider. M. Ernest-Antoine Seillière est énarque. D’autres, moins brillants, ont fait des études médiocres et ont intégré une modeste école de commerce ; ce qui leur permet, quand même, d’occuper un strapontin dans la direction de la société familiale.

Quant au capital social, il représente certainement celui pour lequel la tolérance aux disparités demeure la plus faible. En effet, cette forme de richesse est essentielle au groupe. En être démuni signe une marginalisation. Tout comme le fait d’avoir acquis récemment sa fortune. L’entrée dans la grande bourgeoisie se réalise par l’enrichissement. Mais cela ne suffit pas. Il faut du temps pour accumuler le réseau de relations qui sera le garant de l’honorabilité.

Une noblesse de l’argent

Être un grand bourgeois, cela se mérite et cela se prouve. On ne doit cette qualité qu’au groupe lui-même, qui coopte ses membres de façon permanente. Il ne s’agit pas d’un diplôme délivré et authentifié par l’Etat, garanti une fois pour toutes. Le grand bourgeois doit toujours payer de sa personne, être dans les endroits qui comptent, dans les cocktails, les tribunes des grands prix hippiques, les premières d’opéra ou les vernissages d’expositions.

Il faut du temps pour accumuler cette magie sociale qui transforme en qualité de la personne ou de la lignée les richesses socialement accumulées. Un nom peut certes avoir plus ou moins de prestige, et les patronymes nobles conservent encore un avantage, deux siècles après la Révolution. Plus on grimpe dans l’échelle sociale, moins la richesse semble avoir d’importance. Le bourgeois (autrefois le noble, mais l’enjeu est justement la fondation d’une noblesse de l’argent) est ce qu’il est parce qu’il est un être supérieur, et s’il est riche, cela n’est dû qu’au caractère exceptionnel de sa personne.

Ainsi transfigurées, les qualités des membres du groupe apparaissent indépendantes du niveau de fortune. Au fond, il y va de la crédibilité et de la légitimité de la grande bourgeoisie, comme classe dominante, que sa position ne soit pas ramenée à sa richesse matérielle. Les statistiques de l’impôt de solidarité sur les grandes fortunes (ISF) montrent que les écarts de patrimoine sont très élevés et que la relative indépendance de la bourgeoisie à l’égard de l’argent est constitutive de sa force symbolique comme classe dominante. A contrario, la position encore peu assurée des nouveaux riches renvoie à l’unidimensionnalité de leur richesse.

Construction permanente des agents qui la composent, la bourgeoisie se cimente grâce à une technique sociale bien éprouvée, la cooptation. Que ce soit pour admettre de nouveaux membres dans les cercles, pour accueillir de nouveaux adolescents dans tel ou tel rallye, pour remplacer un membre d’un conseil d’administration, on pratique comme les immortels de l’Académie française : par vote, on choisit son semblable, ainsi assuré d’atteindre cette immortalité symbolique qui n’est pas l’un des moindres privilèges du groupe.

L’individualisme n’a guère de prise dans ce milieu et l’individu y est avant tout le représentant d’une famille et d’une lignée. On peut à la rigueur s’y faire un prénom. Mais le nom, lui, vient de l’héritage, ce qui n’est pas sans signifier de lourdes charges pour le bénéficiaire. Le grand bourgeois est le maillon d’une lignée, ou, mieux, la maille d’un filet, pris entre la solidarité des générations et celle des contemporains.

L’importance de la famille dans le dispositif demeure primordiale. Elle conditionne les modalités de la transmission et donc de la reproduction. Mais les héritages d’importance sont exigeants : il faut des héritiers aptes à les recevoir. Relayé par un système scolaire ad hoc, le milieu familial joue un rôle de premier plan dans leur formation. On comprend la vigilance à l’égard des alliances et de la préservation de la structure familiale. Divorces, concubinage, familles monoparentales sont à éviter à tout prix, et la grande bourgeoisie doit se tenir à l’écart du processus de désagrégation de la cellule familiale. Si les mariages paraissent moins arrangés qu’autrefois, ils restent une pièce maîtresse dans la pérennité de la lignée. Les rallyes constituent une instance particulièrement efficace en permettant une socialisation des adolescents selon les normes du groupe. Les futurs héritiers y apprennent à reconnaître d’instinct leurs semblables, en tant que partenaires possibles pour leur vie affective, sexuelle et surtout matrimoniale (lire Les rallyes).

Si la conscience du collectif fait partie des apprentissages de base dans les hautes sphères, le progrès des individualismes sape les solidarités anciennes dans les milieux populaires et les engagements militants dans les classes moyennes. Alors que se délitent les sentiments de classe dans la société, la grande bourgeoisie reste consciente de ses intérêts et soucieuse de sa cohésion.

Sous la soupe idéologique de l’individualisme triomphant, du marché et de la concurrence, les grands bourgeois se concoctent leur ultime privilège : le sens du collectif, le sens des intérêts de classe. Les institutions formelles ou informelles de leur société connaissent une vitalité qui n’a d’égale que les intérêts en jeu. Parmi ces institutions, certaines régulent les contradictions secondaires que peuvent faire apparaître ponctuellement les rivalités commerciales. C’est le rôle des clubs d’entreprises. Ainsi, le Comité Colbert, créé en 1954 par Jean-Jacques Guerlain, rassemble des industriels du luxe, par ailleurs rivaux, comme les couturiers Dior et Chanel, ou les joailliers Boucheron et Mellerio. Ce petit monde, conscient de son unité patiemment construite au cours des générations, réactive sans cesse cette conscience de classe, dans la saine émulation d’une concurrence qui ne saurait aller jusqu’à l’élimination de l’autre, ce qui serait une sorte d’autodestruction.

Par MICHEL PINÇON ET MONIQUE PINÇON-CHARLOT
Sociologue, directeur de recherche au CNRS (CSU-Iresco). Auteur de nombreux ouvrages sur la bourgeoisie, dont Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte / Repères, Paris, 2000.
Sociologue, directrice de recherche au CNRS (CSU-Iresco). Auteure de nombreux ouvrages sur la bourgeoisie, dont Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte / Repères, Paris, 2000.

© Le Monde Diplomatique, 2001

Et une petite bibliographie pour poursuivre la réflexion :
Robert Castel, Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Fayard, Paris, 2001.
Duc de Brissac, Le château d’en face. 1974-1985, Grasset, Paris, 1986.
Monique de Saint Martin, L’Espace de la noblesse, Métailié, Paris, 1993.
Gabriel Milési, Les nouvelles 200 familles. Les dynasties de l’argent, du pouvoir financier et économique, Belfond, Paris, 1990.
L'article de Pierre Bourdieu et Monique de Saint Martin, « Le Patronat », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, n° 20-21, mars-avril 1978.
Anne Laferrère, La transmission des grandes fortunes : profil des riches défunts en France, Economie et Statistique, 1994, n° 273.
ATELIER PARISIEN D'URBANISME, Paris et ses quartiers, APUR, Octobre 2001, Paris.

Quelques citations sociologiques

La sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle devait être un savoir d'expert réservé aux experts.
Pierre Bourdieu, sociologue
Questions de sociologie, éd de Minuit, 1994

Les « lieux communs », qui jouent un rôle énorme dans la conversation quotidienne, ont cette vertu que tout le monde peut les recevoir et les recevoir instantanément : par leur banalité, ils sont communs à l'émetteur et au récepteur. A l'opposé, la pensée est, par définition, subversive : elle doit commencer par démonter les « idées reçues » et elle doit ensuite démontrer. Quand Descartes parle de démonstration, il parle de longues chaînes de raisons. Ça prend du temps, il faut dérouler une série de propositions enchaînées par des « donc », « en conséquence », « cela dit », « étant entendu que »...
Pierre BOURDIEU, sociologue
Sur la télévision, Raisons d'agir, 1996, p. 30-31


Il est toujours possible de contraindre une masse d'agents sociaux à l'obéissance en recourant à une répression plus ou moins féroce. Mais un système fonctionnant uniquement à la coercition ne serait pas viable longtemps. Pour éviter d'avoir à casser continûment des têtes, il vaut mieux façonner durablement les corps et ''l'esprit'' qui les habite. Pour la longévité d'un système, il faut impérativement que ceux qui le font fonctionner soient disposés à le faire de leur plein gré, au moins pour l'essentiel. Et plus leur adhésion est spontanée, moins ils ont besoin de réfléchir pour obéir, mieux le système se porte.
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Faire de nécessité vertu, c'est avoir appris à refuser en nous-mêmes ce que la société nous refuse, à assumer sans réticence le destin social le plus probable qui nous est réservé et à nous réconcilier avec l'inévitable. [...] Qu'il s'agisse d'épouser un ouvrier spécialisé ou un P.D.G., de préparer un D.U.T. d'électronique, d'habiter en cité-dortoir ou un quartier résidentiel, de boire du gros rouge ou des grands crus à tous les repas, chacun a le sentiment qu'il fait ce qu'il doit, qu'il a ce qui lui est dû. En d'autres termes, l'ordre établi n'est pas seulement un ordre établi à l'extérieur de nous-mêmes. C'est aussi et surtout un ordre établi en nous-mêmes...
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence des camps de concentration, le ''c'est ainsi'' que l'on peut prononcer, avec Hegel, devant les montagnes, revêt la valeur d'une complicité criminelle.
Pierre Bourdieu, sociologue
Leçon sur la leçon, Minuit, 1982


Si le fonctionnement des champs sociaux est générateur pour les uns, les dominants, les nantis, les privilégiés, les héritiers, les habiles, de profits multiples qui rendent leur existence épanouissante et délectable, il est pour les autres, beaucoup plus nombreux, la source de misères, de souffrances et d'indignités qui rendent leur existence désespérante, mutilante, voire déshumanisante.
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Une des façons de se débarrasser de vérités gênantes est de dire qu'elles ne sont pas scientifiques, ce qui revient à dire qu'elles sont "politiques", c'est-à-dire suscitées par "l'intérêt", la "passion", donc relatives et relativisables. [...] [pourtant] nous sommes tous engagés. Il y a ceux qui s'en défendent et ceux qui l'affichent. Ceux qui le nient et ceux qui l'avouent. Nous sommes tous sujets de nos convictions et de nos passions. Il ne faut pas s'en cacher et se présenter comme extérieur au grand théâtre du monde.
Pierre Bourdieu, sociologue
Questions de sociologie, Minuit, 1984.


Les clichés, les phrases toutes faites, l'adhésion à des codes d'expression ou de conduite conventionnels et standardisés, ont socialement la fonction reconnue de nous protéger de la réalité, de cette exigence de pensée que les évènements et les faits éveillent en vertu de leur existence.
Hannah Arendt, Considérations morales, Rivages poche, 1996 (1971)

dimanche 21 octobre 2007

L'Estaque en automne






Dimanche 7 octobre, balade à l'Estaque. Ce quartier magnifique, situé dans le 16 e arrondissement de Marseille, comporte un petit port, qui a inspiré les peintres (Cézanne, Braque, Renoir, Dufy...) aussi bien qu'un cinéaste comme Robert Guédiguian (Marius et Jeannette). Le provençal estaco lui a donné son nom, qui signifie « attache », et par extension, « anneau d'amarrage », ou « port ».
On y bénéficie d'une vue exceptionnelle sur la mer et les rues de ce grand village sont à tomber à la renverse. Qui pourrait croire que l'on est encore en ville ?
Avant de partir, comme tout Marseillais qui se respecte, ne pas manquer les spécialités du secteur : les pannisses (tranches de purée de pois-chiches frites) et les chichi-frégis (sortes de beignets saupoudrés de sucre).
Une dernière chose : ce 7 octobre, nous avions un temps estival (25° à 26 °), petits veinards que nous étions !

La Foire Internationale de Marseille








Entre le 21 septembre et le 1er octobre se tenait la Foire Internationale de Marseille au Parc Chanot. Cette institution marseillaise continue, paraît-il, à attirer les foules après 82 ans de bons et de loyaux services. Près de 1 300 exposants permettent aux visiteurs de faire un tour du monde des saveurs, des cultures et des produits des cinq continents. On y trouve de tout : des produits pour la la maison, la mode, le plein air, les loisirs, la gastronomie, etc.
Florence et moi y sommes passés le 26 septembre. Le Parc Chanot se situant à deux pas de chez nous, nous aurions eu mauvaise grâce à ne pas y jeter un oeil. En tant que nouveau Marseillais, j'avais reçu une invitation du maire Jean-Claude Gaudin à le retrouver pour un cocktail au stand de la ville (la base de données de la municipalité marseillaise est visiblement très bien alimentée, et le service communication très actif pour accueillir les migrants...). Bingo : entrée gratuite ! Balade au stand du Vietnam, de l'Italie, du Sud-Ouest, et des plats très appétissants ici et là : saucissons et jambons de terroir, chocolat et charcuterie de la péninsule italienne... En fin de journée, donc, cocktail du Maire invitant les nouveaux Marseillais uniquement (l'accès était refusé par le service de sécurité aux Marseillais "indigènes", dépités : "Non, c'est pour les nouveaux arrivants sur Marseille uniquement !"). Dans son discours, Jean-Claude Gaudin (que nous avons d'ailleurs croisé chez notre caviste !) a expliqué que nous étions 6 000 nouveaux Marseillais cette année, et que la ville continuait d'attirer du monde, etc. Et puis, il y a eu un bilan économique (une ville qui "reprend du poil de la bête" après les années Defferre), une pique contre Aix et sa mairesse (polémique autour de Plan-de-Campagne, qui fournit des taxes à Aix, et Marseille qui court - ou courait - derrière des entreprises susceptibles de s'implanter sur son territoire), la sécurité du métro laissant à désirer et contraignant paraît-il à le fermer en semaine dès 21 h (pique légère de Gaudin contre l'Etat qui n'affecte pas assez de moyens à la police nationale pour des tâches qui ne concernent pas une police municipale qu'il ne souhaite pas voir armée, avec un budget de surcroît non extensible), un peu de sarkozysme mais pas trop (Gaudin présente son équipe comme des gens "formidables", en comparant avec la manière de "Sarko" de présenter les gens qu'il admire). Et un cocktail sublime pour clore la soirée au Parc : petits fours tous plus savoureux et fins les uns que les autres, champagne...
Florence et moi n'avons pu nous empêcher de comparer avec l'accueil réservé (inexistant...) aux nouveaux Parisiens. La seule morale de cette histoire, s'il doit y en avoir une ! Certes, les prochaines municipales sont dans la ligne de mire aussi. N'empêche...