lundi 27 septembre 2010

Des hommes libres et des dieux

Le refrain aura l'air convenu, tout comme de prendre en route le train d'un immense succès commercial, puisque le film vient de dépasser le cap du million d'entrées, mais tant pis ! Très belle oeuvre essentielle que Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, qui conte les derniers jours des moines assassinés à Tibéhirine, en Algérie, en 1996. 
Il s'agit là d'abord de très beau cinéma, avec des travellings absolument magnifiques sur l'Atlas, une capacité à incarner et à montrer comment des hommes vivent en harmonie avec leur environnement (scènes de fête où les moines partagent, avec naturel, la vie de leurs voisins musulmans), un sens du rythme (un découpage rapide de scènes souvent courtes : même l'attaque et l'égorgement des ouvriers croates par ceux qu'on nomme "les terroristes" ne s'appesantit pas, tout en montrant que l'assassinat d'un homme demeure une parfaite horreur), un sens du temps (la vie telle qu'elle s'écoule au monastère et dans ses environs) et même - j'ai conscience que le mot peut paraître malheureux - un sens du suspense dans la manière de conter une histoire absolument tragique dont le spectateur connaît l'issue. Sans omettre des comédiens tous à la hauteur d'une histoire exceptionnelle et exceptionnellement contée : Lonsdale impérial, Lambert Wilson étonnant, Rabourdin parfait en moine taraudé par l'angoisse - on voudrait les citer tous...
Dans ce contexte de très beau cinéma, un regret cependant : que la très belle scène, osée, gonflée, de cette sorte de dernière Cène réunissant tous les moines qui, sans doute, s'attendent à mourir, tout en écoutant "Le Lac des Cygnes" de Tchaïkovsky, abuse à ce point des gros plans et donc de l'émotion, au risque d'être à tout prix tire-larmes, de façon inutilement et surtout bêtement ostentatoire, spectaculaire.
A ces réserves près, le film est essentiel à plus d'un titre : en ces temps d'affaires Woerth-Bettencourt et de tentatives plus ou moins sérieuses de régulation d'un système économique parti en capilotade, voilà des hommes qui s'engagent au service des autres, ceci au nom de valeurs immatérielles peu spectaculaires, peu sonnantes et peu trébuchantes... Et plus que de l'histoire de leur mort, il s'agit avant tout de l'histoire d'une fidélité : comment rester fidèle à des valeurs, à des engagements, envers et contre tout, comment affirmer sa liberté, alors qu'une menace terrible, indicible, plane au-dessus de votre tête ? Comment lutter, seul ou presque, contre le souffle de l'air du temps qu'il fait, s'il est mauvais ? En ce sens, c'est un peu la même histoire que celle d'un film allemand sorti il y a quelques années et consacré à la fameuse résistante Sophie Scholl, qui, au nom de ses engagements et surtout de sa liberté de dire non au pire, affrontait jusqu'au bout la gestapo, le tribunal et, finalement, sa condamnation... "Si, j'ai le choix !", assène le prieur incarné par Lambert Wilson face à celui qui le menace.
D'aucuns ont reproché au réalisateur de ne pas prendre parti, de ne pas désigner de responsable. Tout au plus laisse-t-il planer le doute, avec cet hélicoptère de l'armée qui tourne, menaçant, au-dessus du monastère... Habilement, au contraire, sans montrer quoi que ce soit de la triste fin des moines, il les laisse s'évanouir dans la neige, dans le brouillard, tandis qu'ils gravissent une montagne, encadrés par leurs ravisseurs, comme s'ils montaient vers une sorte de Golgotha. Au spectateur de spéculer, s'il le souhaite.


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