lundi 27 septembre 2010

Elevage d'élites

Rediffusée la semaine dernière sur Arte, L'Ecole du Pouvoir du cinéaste Raoul Peck a quelque chose de fascinant, d'hypnotisant même, qui évoque vaguement le dyptique italien Nos Meilleures Années de Marco Tullio Giordana. Soit l'histoire de futurs jeunes énarques de la promotion "Voltaire", entre les années Giscard et les années Mitterrand, l'apprentissage du pouvoir des illusions et la désillusion au pouvoir... Chacun des personnages incarne une facette de cette France post-soixante-huitarde qui bascule dans les années 80 : Caroline, mitterrandienne convaincue, Mathieu, le fils d’ouvrier, Abel, porté par des idées de justice sociale et d’équité, Laure et son frère Louis, enfants de grands bourgeois que séparent des tempéraments et des visions du monde antagonistes. Les uns - la majorité - semble dire le film, se servent de l'ENA comme d'un marchepied vers l'exercice d'un pouvoir le plus personnel et le plus lucratif possible (atterrir d'abord dans la "botte", se servir ensuite aux meilleurs rateliers de l'appareil d'Etat ou du privé, c'est selon...), d'autres - minoritaires - souhaitent servir une idée plus généreuse de l'Etat. Quoi qu'il en soit, la leçon, fût-elle un brin manichéenne, est amère pour généreux et ambitieux à égalité. Cette fiction bien documentée aboutit en effet sur une conclusion qui remet tout le monde à sa place : seuls trouvent une forme d'apaisement, ou de bonheur,  ou d'accomplissement, comme on voudra, les deux personnages qui se sont éloignés du jeu politique, loin des ambitions personnelles, mais aussi loin des plus exaltants idéaux... Comme si, aussi, l'on voulait nous signifier la dépolitisation, mais encore la misère des enjeux d'une société qui n'a plus rien à porter... Conclusion, amère, donc, à double facette. Reproduire, comme dirait Bourdieu, mais reproduire quoi ? Eh bien, semble-t-il, pas grand chose...

Des hommes libres et des dieux

Le refrain aura l'air convenu, tout comme de prendre en route le train d'un immense succès commercial, puisque le film vient de dépasser le cap du million d'entrées, mais tant pis ! Très belle oeuvre essentielle que Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, qui conte les derniers jours des moines assassinés à Tibéhirine, en Algérie, en 1996. 
Il s'agit là d'abord de très beau cinéma, avec des travellings absolument magnifiques sur l'Atlas, une capacité à incarner et à montrer comment des hommes vivent en harmonie avec leur environnement (scènes de fête où les moines partagent, avec naturel, la vie de leurs voisins musulmans), un sens du rythme (un découpage rapide de scènes souvent courtes : même l'attaque et l'égorgement des ouvriers croates par ceux qu'on nomme "les terroristes" ne s'appesantit pas, tout en montrant que l'assassinat d'un homme demeure une parfaite horreur), un sens du temps (la vie telle qu'elle s'écoule au monastère et dans ses environs) et même - j'ai conscience que le mot peut paraître malheureux - un sens du suspense dans la manière de conter une histoire absolument tragique dont le spectateur connaît l'issue. Sans omettre des comédiens tous à la hauteur d'une histoire exceptionnelle et exceptionnellement contée : Lonsdale impérial, Lambert Wilson étonnant, Rabourdin parfait en moine taraudé par l'angoisse - on voudrait les citer tous...
Dans ce contexte de très beau cinéma, un regret cependant : que la très belle scène, osée, gonflée, de cette sorte de dernière Cène réunissant tous les moines qui, sans doute, s'attendent à mourir, tout en écoutant "Le Lac des Cygnes" de Tchaïkovsky, abuse à ce point des gros plans et donc de l'émotion, au risque d'être à tout prix tire-larmes, de façon inutilement et surtout bêtement ostentatoire, spectaculaire.
A ces réserves près, le film est essentiel à plus d'un titre : en ces temps d'affaires Woerth-Bettencourt et de tentatives plus ou moins sérieuses de régulation d'un système économique parti en capilotade, voilà des hommes qui s'engagent au service des autres, ceci au nom de valeurs immatérielles peu spectaculaires, peu sonnantes et peu trébuchantes... Et plus que de l'histoire de leur mort, il s'agit avant tout de l'histoire d'une fidélité : comment rester fidèle à des valeurs, à des engagements, envers et contre tout, comment affirmer sa liberté, alors qu'une menace terrible, indicible, plane au-dessus de votre tête ? Comment lutter, seul ou presque, contre le souffle de l'air du temps qu'il fait, s'il est mauvais ? En ce sens, c'est un peu la même histoire que celle d'un film allemand sorti il y a quelques années et consacré à la fameuse résistante Sophie Scholl, qui, au nom de ses engagements et surtout de sa liberté de dire non au pire, affrontait jusqu'au bout la gestapo, le tribunal et, finalement, sa condamnation... "Si, j'ai le choix !", assène le prieur incarné par Lambert Wilson face à celui qui le menace.
D'aucuns ont reproché au réalisateur de ne pas prendre parti, de ne pas désigner de responsable. Tout au plus laisse-t-il planer le doute, avec cet hélicoptère de l'armée qui tourne, menaçant, au-dessus du monastère... Habilement, au contraire, sans montrer quoi que ce soit de la triste fin des moines, il les laisse s'évanouir dans la neige, dans le brouillard, tandis qu'ils gravissent une montagne, encadrés par leurs ravisseurs, comme s'ils montaient vers une sorte de Golgotha. Au spectateur de spéculer, s'il le souhaite.


mercredi 15 septembre 2010

Le pif de Tamara Drewe

Petite merveille que la comédie pastorale de Tamara Drewe, vous savez, le tout récent film de Stephen Frears... Tout et tout le monde en prend pour son grade dans cette oeuvre au vert qui a quelque chose du Théorème de Pasolini, en plus joyeux. Assis tout autour d'une table dans un charmant cottage, en apparence véritable petit coin de paradis bourgeois, les écrivains y sont, avec une cruauté exquisement britannique, montrés comme de parfaits inadaptés : on n'oubliera pas de sitôt cet Américain chauve, bedonnant et compassé qui, après tant d'autres, comme on le lui fait charitablement remarquer, prépare « son » essai sur Thomas Hardy et qui jalouse le maître des lieux, Nicholas Hardiment, auteur à succès infatué, flatulent et coureur de jupons. Pas plus qu'on n'oubliera les vacheries de ces dames qui voient arriver Tamara Drewe, beauté fatale au nez tout juste refait qui vient faire chavirer les hommes et les maris... Pleine d'un humour réellement « vache » (au sens propre du terme - mais on n'en dévoilera pas le gag final), cette oeuvre inspirée d'une BD de Posy Simmonds et de Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy se déchaîne avec élégance et ironie contre la tyrannie des apparences. Le moins qu'on puisse dire est qu'il y a des victimes... Comme disait Blaise Pascal au sujet d'un autre blaire : « Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé ».

dimanche 5 septembre 2010

Re-naissance !

Il y a une semaine, samedi 28 août, est né notre fils, Roman, 2,960 kg. Le garçon est bien entendu très mignon et très sage... Comme les nuit sont tranquilles, avec un peu de chance, nous aurons un peu de temps pour alimenter ce blog... A bientôt !

dimanche 4 juillet 2010

Retour au jardin

Nous avons revu hier soir ce chef-d'oeuvre venu d'Italie du vieux maître Vittorio De Sica, Le Jardin des Finzi-Contini, l'un des derniers films du fameux réalisateur du Voleur de bicyclette. Ce diamant noir à l'ambiance tchekhovienne, poignante, nous montre les derniers feux d'un monde finissant : une bourgeoisie et une petite bourgeoisie de juifs italiens, exclus des clubs sportifs de la ville de Ferrare mais protégés des agressions du monde dans ce merveilleux jardin des Finzi-Contini où ils poursuivent leur tennis, et tous bientôt balayés comme fétus de paille par la Solution Finale... Ceci bien en dépit de leur parfaite assimilation ou de leur adhésion sans faille au fascisme mussolinien. Et malgré ce jardin enclos, illusoire paradis (faut-il rappeler que le mot "paradis" est issu d'un mot persan qui signifie "jardin clôturé" ?).
Il faut avoir vu la séduisante Dominique Sanda, qui incarne Micol, fleur vénéneuse promise à l'extermination, dont la terrible froideur sauvera, contre toute attente, son ami d'enfance...
Il faut avoir vu cette famille de quasi-aristocrates, les Finzi-Contini, descendre avec dignité les marches de leur magnifique propriété avant de partir en déportation...
Il faut avoir vu ces plans finaux où ces gens quittent pour toujours des lieux associés au bonheur, il faut les avoir vus entassés dans ces salles de classe, antichambres des camps de la mort...
Ce film peint le crépuscule d'un monde bientôt exterminé, des illusions bientôt détruites et il peint avec grâce cette tragédie de la fin de toutes les insouciances. Et de penser au Monde d'hier de Stefan Zweig...

lundi 31 mai 2010

Il était une fois en Argentine...

Magnifique film, d'une intensité exceptionnelle, à recommander chaudement à tout cinéphile qui se respecte : Dans ses yeux (El Secreto de Sus Ojos) de Juan José Campanella, une oeuvre incroyable venue d'Argentine... C'est peu dire que de signaler que nous avons été littéralement happés. C'est curieux, mais moi, ça m'a fait penser à Il était une fois en Amérique d'un autre Latin : Sergio Leone. A priori, pourtant, rien à voir. Mais ceci à cause du souffle, sans doute, d'un film long qui n'ennuie pas une seconde, et puis à cause de cette rêverie, je crois, sur cette femme qui passe et que le personnage principal laisse passer (une belle collection d'actes manqués). Et encore ceci : des personnages inoubliables, incarnés par des comédiens tellement crédibles qu'ils parviennent à nous faire croire qu'ils font partie de la famille, ou des amis, ou que ce sont des voisins, ou ce qu'on voudra... C'est argentin, et pourtant c'est universel. Ce qui n'empêche que l'Amérique latine des années 75 sous l'emprise du plan Condor fait froid dans le dos, aussi, en passant. Ce film indéfinissable (policier, histoire d'amour, psychanalyse d'une époque trouble, et aussi enquête de pieds nickelés...) est à voir séance tenante si on ne veut pas le regretter toute sa vie.