samedi 1 avril 2017


De passage sur Paris, jeudi 23 mars, c’était l’occasion de rencontrer le cinéaste Bertrand Tavernier, invité
par la Fnac St Lazare à présenter son grand œuvre en DVD et en Blu-ray, « Voyage à travers le cinéma français ». Grand, grand moment émaillé de récits et d’anecdotes savoureuses par ce grand réalisateur qui est aussi un immense et généreux conteur…
Tout au long de cette rencontre, Tavernier vante un cinéma évocateur d’une France diverse et ouvrière, cinéma qui lui a appris à aimer notre pays. Contexte électoral oblige, il glisse des remarques bien senties : « Je n’ai jamais vu un tel amour de la France que chez les cinéastes, et bien plus que chez nos hommes politiques… » Et de citer l’ouvrage du journaliste Eric Conan, « dont le titre, malheureusement, est prémonitoire » : La gauche sans le peuple ».

mardi 12 novembre 2013

Quai d'Orsay

Il faut aller voir le dernier film du cinéaste Bertrand Tavernier, Quai d'Orsay.

Soit une comédie pétillante d'intelligence et d'ambivalence, aux dialogues affûtés et brillants comme c'est rarement le cas, qui donne à voir les rouages du fonctionnement de notre république (de notre démocratie ?), et comment s'élaborent, malgré tout, collectivement, dans la confrontation, dans le désordre et le n'importe quoi, une pensée et une action politique, que synthétisera et même incarnera, in fine, la personne charismatique, la tête d'affiche, à savoir le ministre. La référence récurrente au philosophe Héraclite, cité à tout bout de champ par le ministre joué par Thierry Lhermitte, pourra sembler farfelue. Pourtant, derrière la pantalonnade dont Tavernier n'est pas dupe, derrière la surface, derrière le masque autosatisfait, derrière le "moi, moi, moi" permanent du beau gosse qui s'écoute parler, l'acteur ministre ne se contente pas de dire un texte élaboré par ses conseillers : à un moment donné, historique (le discours de l'Onu), il livre une vision, en hauteur - en auteur aussi, inspiré et inspirant. Mention particulière à Niels Arestrup en directeur de cabinet qui en a vu d'autres et qui ronronne comme un vieux chat...

mardi 13 novembre 2012

Il était une fois une daube

Quelle que soit par ailleurs la réputation d’un plat, saboter une recette est à la portée de n’importe quel cuisinier gâte-sauce, de n’importe quel margoulin des fourneaux. L’absence de talent est encore plus éclatante lorsqu’on y emploie les gros moyens, et que l’on n’a pas peur des grosses ficelles. C’est ce que je me suis dit le soir de la présentation d’une interminable chose gluante, qu’on n’ose pas appeler un film, mais plutôt un interminable clip baveux, vilain comme tout, bourré de clichés avariés à en dégueuler la bouche pleine, le mal nommé « Il était une fois la Provence » : immense daube, énorme bouse, à hurler au chef-d’œuvre devant la contemplation d’une crotte de toutou. Dire que, dans cette épouvantable galère musicale désertée par les muses, pour dire un pôvre texte d’André Bercoff sur le soleil de la Provence, les cigales, le soleil de la Provence et encore les cigales, on a embarqué un Michel Galabru, ex-Joseph Bouvier redevenu ici gendarme en balade… Pour bien faire sentir la merveille, il faudrait parler des nombreux, trop nombreux épisodes musicaux, dont le film est à la fois emballage et surtout prétexte à lancer des chanteurs et des chanteuses, sous-ersatz gueulards de Garou, clonages vocaux des déjà synthétiques et dispensables Céline Fabian et Lara Dion, sans oublier des ambiances et des textes dégoulinant de kitsch à filer des complexes de finesse et de génie à l’immense Luc Plamondon… Il serait vain de prétendre ici décerner la palme d’or du laid, du ridicule et du beauf - il faudrait choisir : est-ce le tour de chant inspiré du Monte-Cristo de Dumas, où un hurleur en costume passe son temps à gueuler « Dantès » ? Est-ce le violonneux « Les Ailes du Moulin » et l’apparition soudaine, derrière le Guignol, d’un faux Daudet Alphonse en perruque et postiche ? Est-ce « Jardin de Lumière » où l’on n’hésite pas à filmer, avec force couchers de soleil sous filtres colorés triple épaisseur, musiciens et piano à queue baignant les pieds dans l’eau ou bien plantés au milieu d’un joli champ de lavande bleu-mauve ? Est-ce le larmoyant « Yolanda », son faux Roi René, son chanteur en armure, son faux duel entre une épée et une rose ? Est-ce « Nostradamus », prétexte à équiper de guitares électriques des zozos en habits 17e ? Ou bien est-ce « Viens dans le Sud », sa brochette de niaises chanteuses et de niais chanteurs qui se trémoussent en studio, les yeux dans les yeux et le sourire pour unique expression faciale, et pour unique propos l’invitation faite au spectateur de venir les rejoindre dans leur Sud de toc et de pacotille ? C'est à tomber par terre, une esthétique comme celle-là, digne des pubs de pâtée pour chien, des croquettes pour minou... Combien étaient-ils à piaffer d'impatience, les spectateurs, dans le cadre prestigieux du Palais du Pharo, à Marseille, devant un tel naufrage de la beauté et de l'intelligence, difficile de le dire : affamés comme des anthropophages, ils se sont vengés sur le buffet qui, lui, était impeccable. Quand tant de projets, tant d’artistes ont du mal à se financer, on pourra, au choix, s’étonner ou s’indigner de la débauche de moyens au service de ce machin à la sauce tellement épaisse qu’il fait honte à la daube provençale, la vraie.

lundi 9 janvier 2012

Un Robert, sinon rien !


Il existe, paraît-il, des alcools adaptés aux humeurs et aux malheurs du temps. Peut-être, qui sait, y a-t-il des films distillés selon les mêmes recettes. Vous offrir un alcool corsé pour vous adoucir paradoxalement l’existence, c’est un peu le propos du dernier film de Guédiguian, qui n’a rien d’une tisane, malgré son concept de conte inspiré par Hugo Victor (le poème « Les Pauvres Gens »). Du Kilimandjaro, pas plus que les héros, des prolétaires suspects d’embourgeoisement que d’autres prolétaires, plus jeunes, plus précaires, dépourvus d’idéaux, « affranchis », viendront plumer, on ne verra la cime, ni les neiges éternelles. En revanche, on verra comment, confronté à l’impensable (être volé par d’autres petites gens), un couple va, en découvrant les motivations altruistes de plus précaire que soit, accomplir un autre impensable : s’occuper des enfants d’un des agresseurs, envers et contre tous - contre tous ceux qui n’entendent pas que des prolétaires s’attaquent, aussi sauvagement, à d’autres prolétaires. Car ce que semble nous dire ce Guédiguian presque mystique, en cette fin 2011, ce début 2012, c’est que la révolution sera intérieure ou ne sera pas : transformer le monde commence par une révolution personnelle, qui consisterait à répandre le Bien plutôt que le Mal, autour de soi. On pense à l’humanisme de Renoir, rappelant que « chacun à ses raisons ». L’envers du conte, toutefois, est sombre, en dépit du beau soleil trompeur d’une Estaque si superbement filmée, loin des cartes postales. Toute solution de continuité, de transmission des idéaux en effet est bloquée dans un contexte de délabrement général : les jeunes générations ne reconnaissent d’autre loi que celle de la débrouille (s’emparer à tout crin du bien d’autrui pour survivre) ou encore la loi du talion (rendre le mal pour le mal qu’on nous a fait, certes indûment). Au fond, ce qui pend au nez des faux héros de cette histoire, comme à nous tous, c’est de finir vautrés pour toujours dans une chaise longue, contents autant qu’il y a des saucisses et du Ricard. A tous ceux-là, Guédiguian offre une réflexion forte, bouleversante parfois, émaillée de modestes consolations, non sans philosophie, comme ce truculent bistrot où l’on vous sert le breuvage de votre peine du moment...

lundi 27 septembre 2010

Elevage d'élites

Rediffusée la semaine dernière sur Arte, L'Ecole du Pouvoir du cinéaste Raoul Peck a quelque chose de fascinant, d'hypnotisant même, qui évoque vaguement le dyptique italien Nos Meilleures Années de Marco Tullio Giordana. Soit l'histoire de futurs jeunes énarques de la promotion "Voltaire", entre les années Giscard et les années Mitterrand, l'apprentissage du pouvoir des illusions et la désillusion au pouvoir... Chacun des personnages incarne une facette de cette France post-soixante-huitarde qui bascule dans les années 80 : Caroline, mitterrandienne convaincue, Mathieu, le fils d’ouvrier, Abel, porté par des idées de justice sociale et d’équité, Laure et son frère Louis, enfants de grands bourgeois que séparent des tempéraments et des visions du monde antagonistes. Les uns - la majorité - semble dire le film, se servent de l'ENA comme d'un marchepied vers l'exercice d'un pouvoir le plus personnel et le plus lucratif possible (atterrir d'abord dans la "botte", se servir ensuite aux meilleurs rateliers de l'appareil d'Etat ou du privé, c'est selon...), d'autres - minoritaires - souhaitent servir une idée plus généreuse de l'Etat. Quoi qu'il en soit, la leçon, fût-elle un brin manichéenne, est amère pour généreux et ambitieux à égalité. Cette fiction bien documentée aboutit en effet sur une conclusion qui remet tout le monde à sa place : seuls trouvent une forme d'apaisement, ou de bonheur,  ou d'accomplissement, comme on voudra, les deux personnages qui se sont éloignés du jeu politique, loin des ambitions personnelles, mais aussi loin des plus exaltants idéaux... Comme si, aussi, l'on voulait nous signifier la dépolitisation, mais encore la misère des enjeux d'une société qui n'a plus rien à porter... Conclusion, amère, donc, à double facette. Reproduire, comme dirait Bourdieu, mais reproduire quoi ? Eh bien, semble-t-il, pas grand chose...

Des hommes libres et des dieux

Le refrain aura l'air convenu, tout comme de prendre en route le train d'un immense succès commercial, puisque le film vient de dépasser le cap du million d'entrées, mais tant pis ! Très belle oeuvre essentielle que Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, qui conte les derniers jours des moines assassinés à Tibéhirine, en Algérie, en 1996. 
Il s'agit là d'abord de très beau cinéma, avec des travellings absolument magnifiques sur l'Atlas, une capacité à incarner et à montrer comment des hommes vivent en harmonie avec leur environnement (scènes de fête où les moines partagent, avec naturel, la vie de leurs voisins musulmans), un sens du rythme (un découpage rapide de scènes souvent courtes : même l'attaque et l'égorgement des ouvriers croates par ceux qu'on nomme "les terroristes" ne s'appesantit pas, tout en montrant que l'assassinat d'un homme demeure une parfaite horreur), un sens du temps (la vie telle qu'elle s'écoule au monastère et dans ses environs) et même - j'ai conscience que le mot peut paraître malheureux - un sens du suspense dans la manière de conter une histoire absolument tragique dont le spectateur connaît l'issue. Sans omettre des comédiens tous à la hauteur d'une histoire exceptionnelle et exceptionnellement contée : Lonsdale impérial, Lambert Wilson étonnant, Rabourdin parfait en moine taraudé par l'angoisse - on voudrait les citer tous...
Dans ce contexte de très beau cinéma, un regret cependant : que la très belle scène, osée, gonflée, de cette sorte de dernière Cène réunissant tous les moines qui, sans doute, s'attendent à mourir, tout en écoutant "Le Lac des Cygnes" de Tchaïkovsky, abuse à ce point des gros plans et donc de l'émotion, au risque d'être à tout prix tire-larmes, de façon inutilement et surtout bêtement ostentatoire, spectaculaire.
A ces réserves près, le film est essentiel à plus d'un titre : en ces temps d'affaires Woerth-Bettencourt et de tentatives plus ou moins sérieuses de régulation d'un système économique parti en capilotade, voilà des hommes qui s'engagent au service des autres, ceci au nom de valeurs immatérielles peu spectaculaires, peu sonnantes et peu trébuchantes... Et plus que de l'histoire de leur mort, il s'agit avant tout de l'histoire d'une fidélité : comment rester fidèle à des valeurs, à des engagements, envers et contre tout, comment affirmer sa liberté, alors qu'une menace terrible, indicible, plane au-dessus de votre tête ? Comment lutter, seul ou presque, contre le souffle de l'air du temps qu'il fait, s'il est mauvais ? En ce sens, c'est un peu la même histoire que celle d'un film allemand sorti il y a quelques années et consacré à la fameuse résistante Sophie Scholl, qui, au nom de ses engagements et surtout de sa liberté de dire non au pire, affrontait jusqu'au bout la gestapo, le tribunal et, finalement, sa condamnation... "Si, j'ai le choix !", assène le prieur incarné par Lambert Wilson face à celui qui le menace.
D'aucuns ont reproché au réalisateur de ne pas prendre parti, de ne pas désigner de responsable. Tout au plus laisse-t-il planer le doute, avec cet hélicoptère de l'armée qui tourne, menaçant, au-dessus du monastère... Habilement, au contraire, sans montrer quoi que ce soit de la triste fin des moines, il les laisse s'évanouir dans la neige, dans le brouillard, tandis qu'ils gravissent une montagne, encadrés par leurs ravisseurs, comme s'ils montaient vers une sorte de Golgotha. Au spectateur de spéculer, s'il le souhaite.


mercredi 15 septembre 2010

Le pif de Tamara Drewe

Petite merveille que la comédie pastorale de Tamara Drewe, vous savez, le tout récent film de Stephen Frears... Tout et tout le monde en prend pour son grade dans cette oeuvre au vert qui a quelque chose du Théorème de Pasolini, en plus joyeux. Assis tout autour d'une table dans un charmant cottage, en apparence véritable petit coin de paradis bourgeois, les écrivains y sont, avec une cruauté exquisement britannique, montrés comme de parfaits inadaptés : on n'oubliera pas de sitôt cet Américain chauve, bedonnant et compassé qui, après tant d'autres, comme on le lui fait charitablement remarquer, prépare « son » essai sur Thomas Hardy et qui jalouse le maître des lieux, Nicholas Hardiment, auteur à succès infatué, flatulent et coureur de jupons. Pas plus qu'on n'oubliera les vacheries de ces dames qui voient arriver Tamara Drewe, beauté fatale au nez tout juste refait qui vient faire chavirer les hommes et les maris... Pleine d'un humour réellement « vache » (au sens propre du terme - mais on n'en dévoilera pas le gag final), cette oeuvre inspirée d'une BD de Posy Simmonds et de Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy se déchaîne avec élégance et ironie contre la tyrannie des apparences. Le moins qu'on puisse dire est qu'il y a des victimes... Comme disait Blaise Pascal au sujet d'un autre blaire : « Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé ».