mardi 16 octobre 2007

Tentez le voyage avec le juge Feng

Un vrai chef d'oeuvre nous arrive de Chine, un véritable miracle de cinéma : Le Dernier voyage du juge Feng.

Petite revue de presse sur le sujet :

LE NOUVEL OBS

Chronique de campagne

Dans «le Dernier Voyage du juge Feng», Liu Jie, 39 ans, prend le contre-pied des jeunes cinéastes chinois en s'intéressant à la vie d'un juge itinérant dans les vertueuses campagnes du Yunnan. Roboratif.


C'est en tombant sur un article consacré au juge Feng, un juge itinérant chargé de rendre la justice dans les villages de la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine, que Liu Jie, directeur de la photo depuis quatorze ans, a sauté le pas. Jusqu'alors, ce petit homme au visage rond se contentait d'oeuvrer dans l'ombre de ses mentors, dont Wang Xiaoshuai, le réalisateur du très beau «Beijing Bicycle» en 2000. Au besoin, il cassait sa tirelire et s'improvisait producteur. Un homme discret. Mais aussi droit et coléreux. Et hostile au cinéma de certains de ses confrères. C'est parce qu'il en avait assez des sujets sur les mégapoles qu'il s'est jeté dans le grand bain, décidé à militer de son côté pour la défense des minorités dans les campagnes. Des mois durant, Liu Jie a fait de pénibles allers et retours entre Pékin et le Yunnan dans les pas de ce fameux juge Feng, réputé pour son intelligente application de la loi dans des villages de montagne où le non-respect des traditions peut déclencher des séismes pour des décennies.Dans «le Dernier Voyage du juge Feng», liu Jie raconte ainsi l'histoire d'un villageois ayant porté plainte parce que l'urne de ses ancêtres, enterrée dans un champ, avait été détruite par le cochon d'un voisin. «A la ville, dit-il, il n'y aurait pas eu de jugement. A la campagne, les gens sont respectueux de leurs ancêtres. Juger l'affaire à la légère aurait déclenché une guerre entre les deux familles. Celle-ci aurait engendré dans le village du mépris envers la loi, que les habitants auraient fini par ne plus respecter.»Tourné avec seulement deux comédiens professionnels et une inspectrice des impôts qui interprète une greffîère, le film met en scène de vrais villageois dans des situations d'improvisation totale. «Je leur donnais le canevas, des cas litigieux qu'ils connaissaient pour la plupart, et ils jouaient. Comme ils parlaient un dialecte, ce n'est que le soir, la scène en boite, que le traducteur m'expliquait ce qu'ils avaient fait.» Souvent cocasse, parfois poignant, son film rend tout à la fois hommage à la beauté d'une profession - juge itinérant - dont il n'existe plus que de rares spécimens dans le pays, et à celle de populations (« deux tiers du peuple chinois tout de même», insiste liu Jie) accrochées à leurs valeurs. Des valeurs en lesquelles le réalisateur croit au moins aussi fort. «J'ai de la nostalgie pour les vertus traditionnelles chinoises. Elles se perdent. On ne parle plus qu'économie et argent. L'influence des villes s'impose sournoisement dans les campagnes lorsque les jeunes y retournent. Et l'influence du communisme, qui obligeait les gens à vivre dans une certaine moralité, n'existe plus.» Acte de résistance, geste de militant et d'esthète, «le Dernier Voyage du juge Feng» a été couronné d'un prix à Venise en 2006 et diversement reçu en Chine. «Mon message est qu'il faut améliorer les conditions de vie dans les campagnes pour maintenir l'équilibre du pays. Qui l'a compris chez nous ? Très peu de gens.» Qu'importe, Liu Jie est déjà reparti en guerre, un second projet de film sous le bras.

ME Rouchy (TéléCinéObs)

LE FIGAROSCOPE
On fait avec ce juge un voyage pittoresque, drôle, émouvant et riche d’enseignement. Les trois personnages, finement dessinés, se détachent sur fond de paysages somptueux et de vie quotidienne ancestrale. Au fil de péripéties étonnantes et souvent savoureuses, le cinéaste développe une réflexion pénétrante sur le droit et l’exercice de la justice. La sagesse empirique du juge Feng, astucieux et débonnaire, lui fait allier un grand sens de la légalité avec un respect non moins grand des traditions et de la complexité humaine. Et il est joliment secondé par le tact psychologique de Yang. Le couple professionnel et discrètement sentimental qu’ils forment après des années passées ensemble contraste avec la jeunesse inexpérimentée et intransigeante d’Ah-Luo, jeune juriste imbu de théories – qui ne résistent pas à la passion. Voilà un excellent premier film, intelligent et sensible, porté par des interprètes pleins de charme.

TELERAMA

Deux juges, l'un novice, l'autre vieillissant, et une greffière qui crapahutent au fin fond de la Chine : voilà une caravane pittoresque, un tribunal ambulant comme il en existe dans les provinces les plus reculées du pays. Il s'agit d'une réalité méconnue que le réalisateur Liu Jie nous fait découvrir dans cette satire tendre, confrontation volontiers cocasse entre tradition rurale et morale d'Etat. Pas facile de régler un litige comme celui d'une tombe saccagée par un cochon.

Face aux lois ancestrales des minorités ethniques, la justice d'Etat paraît ici aussi engoncée qu'inappropriée. La bonne idée est de faire rejail­lir la difficulté de la tâche au coeur même du trio, bientôt divisé sur le jugement à rendre. La part menue de la fiction et la cohabitation bancale des acteurs professionnels avec les amateurs affaiblissent parfois le film. Mais le voyage, réellement hors des sentiers battus, à travers des paysages majestueux, réserve des images d'une Chine immémoriale qu'on n'a pas l'habitude de voir.

Jacques Morice

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