jeudi 25 octobre 2007

La vie en rose ?

Pour vous faire une idée d'une certaine vie dorée, je vous invite à visionner ces reportages plutôt édifiants (quand bien même si c'est de la production TF1 sensationnaliste pur jus) :
http://www.dailymotion.com/video/xrk9r_sarkozy-jeunesse-doree-nappy-sociol_events
http://www.dailymotion.com/related/1285983/video/x1ydx8_la-vie-de-la-jeunesse-doree-1_fun

Conclusion : Auteuil-Neuilly-Passy, tel est notre ghetto !
http://www.dailymotion.com/relevance/search/inconnus/video/xie48_les-inconnus-auteuil-neuilly-passy

Et si l'on parlait privilège ?

En ces temps de réformes où l'on parle d'abolir certains "privilèges" et autres "avantages acquis" (notamment les statuts spéciaux), où il est devenu commun - parfois à juste titre - de mettre en cause des fonctionnements de caste, il paraît plus que jamais nécessaire et salutaire de prendre du recul, de s'interroger sur la notion même de "privilège" et sur ces injonctions faites à l'individu contre le sens du collectif, tout en rappelant certains fondamentaux à l'appui de documents et d'études socio-économiques sérieuses.

Les éléments qui suivent ne prétendent à rien d'autre qu'à être des pistes de réflexion, de mise à distance des "idées reçues" et autres généralités souvent prononcées, rarement creusées.

Commençons par quelques citations intéressantes :
"Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent d’une essence supérieure."
Pierre Bourdieu - Questions de sociologie

"Les inégalités forment système. C'est-à-dire qu'elles s'engendrent les unes les autres ; elles constituent un processus cumulatif au terme duquel les privilèges s'accumulent à l'un des pôles de l'échelle sociale tandis qu'à l'autre pôle se multiplient les handicaps ; et elles tendent à se reproduire dans le cours des générations."
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn - Déchiffrer les inégalités (1999)

"Les bourgeois sont riches, mais d’une richesse multiforme, un alliage fait d’argent, de beaucoup d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestige. Comme les difficultés sociales se cumulent, les privilèges s’accumulent."
Michel Pinçon et Monique Pinçon–CharlotSociologie de la bourgeoisie (2000)

Un privilège, ce peut être de cultiver par exemple l'entre-soi dans un espace socialement délimité, voire clos - d'entretenir son capital social pour parler comme Bourdieu. Curieusement, dans le cas de nos banlieues, on n'hésiterait pas à pointer du doigt un "communautarisme" dangereusement connoté. Sur cette forme de privilège jalousement maintenu, voir ci-après l'article assez éclairant "Comment les riches ont fabriqué leurs ghettos" (article publié par Télérama le mardi 16 octobre 2007) :

Si les frontières de la pauvreté fluctuent, le cercle des riches est bien délimité. Auteuil, Neuilly, Passy : on reste entre soi au même endroit. Vous avez dit communautarisme ?

Le mot a surgi en France vers le milieu des années 80. Un beau jour, entre deux « révoltes urbaines » - les Minguettes en 1981, Vaulx-en-Velin en 1990 - la « banlieue » est devenue « ghetto ». Dans la foulée des journaux télévisés et des couvertures de news magazines, d'éminents urbaniste (Roland Castro), démographe (Hervé Le Bras), sociologue (Alain Touraine) ont à l'unisson évoqué le « piège » ou le « syndrome » américain... « Scientifiquement frauduleux et politiquement irresponsable ! » s'est offusqué un sociologue français implanté aux Etats-Unis, Loïc Wacquant, qui a établi point par point le peu de pertinence de cette comparaison : aucune cité française n'atteint le dixième de la taille d'un de ces centres-villes dans lesquels sont parqués les Noirs américains abandonnés par l'Etat ; les dispositifs sociaux mis en place en France – depuis trente ans et la politique plus récente de rénovation urbaine n'ont pas d'équivalent outre-Atlantique ; les taux de mortalité infantile, de criminalité, le nombre de chômeurs, de familles monoparentales, les chiffres de la drogue ne sont absolument pas comparables ; les habitants des cités « travaillent et consomment à l'extérieur de leurs cités », entrent en contact avec d'autres couches de la population ; et surtout, les cités françaises, ethniquement hétérogènes, ne sont porteuses d'aucune demande de reconnaissance communautaire : « Tout au contraire, les revendications de leurs habitants sont foncièrement sociales, ayant trait non pas à la différence ou à la "diversité", mais à l'égalité face à la police, à l'école, au logement, à la santé et surtout à l'emploi. »

Ce constat déjà ancien d'une banlieue multiple et en pleine mutation vient d'être conforté par le récent travail de deux sociologues engagées dans le mouvement associatif, Sophie Body-Gendrot et Catherine Wihtol de Wenden, qui donnent ce chiffre surprenant : « Entre 1990 et 1999, 61% des habitants de ZUS – (zones urbaines sensibles) - ont changé de logement, et les deux tiers de ceux-ci ont définitivement quitté la ZUS... » Ils l'ont fait malgré les réseaux de transport restreints, les discriminations en tout genre. Ce que nos deux sociologues appellent « la tyrannie des territoires » s'est trouvé renforcé par une autre logique, idéaliste –celle-là : « Les acteurs de la politique de la ville ont cherché à promouvoir des modèles de citoyenneté fondés sur la valorisation de l'espace local. » On a mis en place des médiateurs civiques, des intermédiaires culturels. On a cherché à « attacher les habitants à leurs cités plutôt qu'à les aider à en sortir ». Pourtant, ceux qui ont réussi « à échapper au déterminisme de l'appartenance » sont bien ceux qui ont quitté la cité...

Car une chose est sûre, comme le constatait il y a trois ans déjà l'économiste Eric Maurin : « Le territoire s'est imposé ces dernières années comme le révélateur des nouvelles inégalités. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, moins visibles que les frontières de la pauvreté, ce sont les stratégies d'évitement, « les ruses de l'esquive » qui expliquent la ségrégation. Pour Eric Maurin, il y a bien un « ghetto français », mais ce ghetto n'est pas tant « le lieu d'un affrontement entre inclus et exclus que le théâtre sur lequel chaque groupe s'évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés ». Ce ne sont pas seulement les ouvriers qui fuient les chômeurs immigrés : les salariés les plus aisés fuient les classes moyennes supérieures, lesquelles esquivent les professions intermédiaires, qui s'écartent des employés, etc. Si le territoire est l'enjeu d'une compétition aussi âpre, poursuit Maurin, c'est qu'il est déterminant : « On ne se bat pas seulement pour des espaces plus "sûrs", des logements de qualité ou des équipements de proximité, mais encore et peut-être avant tout pour des destins, des statuts, des promesses d'avenir... » Et les gagnants sont ? « Les élites sociales et culturelles qui mobilisent toutes leurs ressources pour se mettre à l'écart ! » En premier lieu, les cadres supérieurs du privé, qui, en raison du fort accroissement de leur pourcentage dans la population, accaparent de nouveaux pans de l'espace urbain et repoussent les classes moyennes vers les périphéries.

On a donc bien affaire à une « ghettoïsation par le haut ». Mais Eric Maurin arrête son analyse aux classes supérieures du salariat. Et les très riches ? Dans leur féroce et savoureux dernier ouvrage, Les Ghettos du gotha, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, couple de sociologues qui travaillent depuis vingt ans sur la grande bourgeoisie, décrivent un monde d'agrégation et de ségrégation sans équivalent dans aucune autre classe sociale : « L'habitat des familles les plus fortunées est concentré dans quatre arrondissements de l'ouest de la capitale, le 7e, le 8e, le nord du 16e et le sud-ouest du 17e, plus Neuilly, archétype de la banlieue chic, dont on trouve quelques autres exemples dans le prolongement des beaux quartiers vers l'ouest. » Ce contrôle de l'espace est tel qu'il va jusqu'à l'appropriation privée d'espaces publics, quelques dizaines d'hectares au bois de Boulogne, abritant les fameux clubs, le Jockey, le Polo... Mais où commence et où s'arrête le cercle des riches ? « Les grandes familles n'ont pas besoin de statisticiens ou de sociologues pour définir les frontières de leur groupe. Elles font elles-mêmes le travail par le biais d'un processus de cooptation dans les rallyes, les cercles et les conseils d'administration. Et plus généralement à l'occasion de toutes les formes de sociabilité, dans le choix du quartier de résidence, des établissements scolaires et des lieux de vacances » Les raisons d'un tel entre-soi ? « On ne peut longtemps rester riche tout seul. » En clair, la richesse économique, « pour durer et être transmise, doit être légitimée par de la richesse sociale ». Mieux : « On est plus riche parmi les riches. Habiter les beaux quartiers, c'est à la fois jouir de l'ensemble des richesses ainsi regroupées et bénéficier de la valorisation, matérielle et symbolique, de son propre domicile par la proximité de tous les autres. » Cette façon de préserver son environnement social est pour les riches si évidente que « leur apartheid inversé fait oublier aux habitants de Neuilly qu'ils vivent en "banlieue", dans un "ghetto" (pour riches) et pratiquent un intense "communautarisme" (entre gens de même naissance), toutes expressions qui renvoient instantanément dans le 9-3, à Saint-Denis, Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois... »

Regroupée, étanche, mobilisée, cette ethnie qui peut paraître désuète - avec ses clubs, ses cercles, ses rallyes... - est en fait d'une formidable modernité : depuis toujours cosmopolite, « internationale avant l'Internationale ouvrière », la grande bourgeoisie a une longueur d'avance dans la mondialisation. Une longeur d'avance, aussi, dans les nouveaux combats de protection du patrimoine : « Parce qu'elle contrôle les espaces les plus précieux, parce qu'elle possède les demeures, les oeuvres et les ancêtres qui ont fait la richesse de la France », elle se paye même le luxe d'incarner l'intérêt général : faire recouvrir la RN 13 à Neuilly aux frais de l'Etat, ou obtenir que l'autoroute ne passe pas près du château, n'est-ce pas pour le bien de tous ? Véritable plongée au coeur de la dernière classe sociale à avoir une telle conscience d'elle-même et à militer aussi activement à son maintien, l'enquête des Pinçon-Charlot est d'autant plus salutaire que la priorité accordée par leurs confrères sociologues aux problèmes sociaux, et donc aux catégories vivant le chômage, la précarité, la discrimination, sied parfaitement à une caste qui cultive le bon goût de vivre sa domination dans la discrétion : « Parce qu'elle sait très bien qu'il ne faut pas agacer le peuple ! » rappellent les Pinçon-Charlot. « Le problème de la grande bourgeoisie, aujourd'hui, c'est que Nicolas Sarkozy a fait beaucoup trop de publicité sur les mesures en sa faveur. Car, pour fonctionner, le pouvoir a besoin d'être méconnu. » Aux sociologues de le dévoiler. En rappelant, par exemple, qu'un ghetto peut en cacher un autre...
Vincent Remy

A lire: Les Ghettos du gotha, de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, éd. du Seuil, 300 p., 19 EUR.Parias urbains, de Loïc Wacquant, éd. La Découverte/Poche, 330 p., 12 EUR 50.Sortir des banlieues, de Sophie Body-Gendrot et Catherine Wihtol de Wenden, éd. Autrement, 126 p., 13 EUR. Le Ghetto français, de Eric Maurin, éd. du Seuil, coll. La République des idées, 96 p., 10 EUR 50.

© Télérama - www.telerama.fr/monde/20627-comment_les_riches_ont_fabrique_leurs_ghettos.php

J'ai aussi déniché un article particulièrement éclairant dans Le Monde Diplomatique, "Sur la piste des nantis", qui, même s'il date de 2001, remet certaines pendules à l'heure :

Sur la piste des nantis

Trop de protection tue la protection. Tel est le credo de M. Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons français, qui confirme sa volonté de quitter la gestion paritaire de la Sécurité sociale. Et de prôner l’individualisme le plus forcené... pour les autres. Car, quand il s’agit de leurs propres vies, les riches organisent leur protection, mettent en place des systèmes clos de régulations collectives, sans craindre d’utiliser cet Etat-providence si souvent dénoncé. A l’heure où l’on salue « la disparition des classes », la bourgeoisie se comporte comme un groupe uni qui assume ses alliances, ses manières de vivre, l’éducation des futurs héritiers et qui exprime ses intérêts collectifs et les gère, à travers une sociabilité de tous les instants. Une classe consciente d’elle-même qui défend ses privilèges et définit ses propres frontières.

Les Portes-en-Ré, une île dans l’île. Entourée par la mer et les marais salants, à la pointe extrême de l’île de Ré, cette commune peu fréquentée par les touristes ordinaires est devenue un des lieux de ralliement des familles de la bourgeoisie. Séduites par le climat et le charme des petites habitations basses avec leurs cours et leurs jardins secrets, elles achètent les maisons du vieux village. Une telle concentration dans un si petit bourg, cela se remarque : le samedi matin, sur le marché, et surtout le dimanche où deux messes se succèdent et remplissent à chaque fois l’église. Venant des beaux quartiers de Paris, de Bordeaux ou de Lyon, toute cette bonne société se montre dans le plaisir extrême d’être ensemble.

Une grande homogénéité des hexis corporelles, c’est-à-dire des manières de tenir son corps et de le présenter, frappe au premier abord. Des corps bronzés, droits et redressés, des enfants aux vieillards. Des vêtements d’été, certes, mais toujours sobres.

On se connaît. Chacun se salue, tout le monde bavarde longuement sur le parvis à la sortie de la messe, des groupes se forment à la terrasse du café Bazenne pour l’apéritif dominical. Une société enjouée,
ravie d’être rassemblée et de pouvoir être elle-même à l’abri du regard des importuns.

Dans un entre-soi toujours soigneusement contrôlé, les membres de la haute bourgeoisie fréquentent les mêmes lieux dans un chassé-croisé au rythme variable selon les saisons, l’âge ou les obligations professionnelles.

De telle sorte que les salons parisiens, les villas des bords de mer, les chalets de montagne, les châteaux forment un vaste espace quasi public pour la bonne société, qui y vit entre elle avec le même plaisir et la même aisance qu’elle a à se retrouver dans les cercles, tels, à Paris, l’Automobile Club, place de la Concorde, ou le Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Tout en manifestant ce collectivisme pratique, la grande bourgeoisie prône l’idéologie de l’individualisme. La référence au marché, à la concurrence, à la compétition, apparaît prépondérante dans les discours des dominants, alors même que leurs pratiques en sont bien éloignées. Symbole de ce double langage, le baron Ernest-Antoine Seillière, inventeur de la refondation sociale prônée par le Mouvement des entreprises de France (Medef, ex-CNPF) et parfait représentant de la vieille bourgeoisie fortunée (lire « La saga des Seillière »).

Au coeur de la logique patronale, la volonté d’individualiser les rapports entre le salarié et l’entreprise est manifeste. Les relations contractuelles ne doivent plus être brouillées par la présence de l’Etat, ou de lois et règlements qui empêcheraient la libre expression des intérêts de chacun. Il s’agit là d’une vieille rengaine, sous couvert de modernisme et de changement. Victorieuse en 1789, la bourgeoisie ne s’y était pas trompée, et avait voté dès le 14 juin 1791 la loi Le Chapelier qui interdisait non seulement les corporations, mais aussi les organisations ouvrières.

Aujourd’hui, il n’est plus question d’interdire les syndicats ouvriers et autres organisations, y compris patronales. Mais, de manière plus feutrée, ce sont les formes collectives de dialogue social qui sont visées. Le changement de dénomination du Centre national du patronat français (CNPF) en Medef n’est pas innocent. Le patronat, un singulier qui désigne un ensemble d’agents sociaux auxquels on peut supposer une certaine unité de vues, est remplacé par les entreprises, un pluriel d’entités individualisées. Le dynamisme des entrepreneurs et de leurs « collaborateurs » est ainsi mis en avant, par opposition aux pesanteurs et à l’inefficacité, régulièrement dénoncées par le Medef, des interventions et des actions publiques.

Il faut donc « revitaliser le dialogue au plus près du terrain, c’est-à-dire dans l’entreprise », comme l’a déclaré le président du Medef lui-même, s’exprimant devant l’Académie des sciences morales et politiques, le 4 décembre 2000. Selon l’organisation patronale, « l’entreprise devrait devenir le lieu primordial de la négociation, primant donc sur celui de la branche et a fortiori sur les niveaux interprofessionnel et législatif, et l’individu devrait jouer un rôle majeur, côté salariés (1) ». Cette orientation tourne le dos au fondement même du progrès social, c’est-à-dire à la dimension collective de droits et de propriétés (équipements sociaux, logements aidés...) qui assurent la protection de l’individu ne disposant que de sa force de travail. Comme l’écrit Robert Castel, on assiste depuis quelque vingt-cinq ans au « développement d’un nouveau processus d’individualisation qui remet en
question les appartenances collectives des individus. C’est la condition même des individus - ou du moins de ces individus qui avaient acquis leur consistance grâce à la propriété sociale - qui risque alors d’être remise en question (2) ».

L’injonction d’individualisation - pour les autres - s’accompagne d’une injonction de modernité. Foin des traditions professionnelles ou locales et de la mémoire collective ! A la manière du duc de Brissac, qui fustigeait le passéisme des salariés et ses postures casanières stérilisantes, mettant en danger l’entreprise : « Ils sont sédentaires et collent à leur site comme la patelle à son rocher », écrivait-il en 1986, peut-être confortablement installé dans la bibliothèque de son château de Brissac, propriété de la famille depuis plusieurs générations.

En ces temps de restructuration, de délocalisation et de mondialisation, les capitalistes souhaitent des salariés disposés à suivre les vagabondages du capital. Dans les limites de l’Hexagone pour les moins qualifiés, et bien au-delà pour l’encadrement. Evidemment, la mobilité n’est pas la même selon qu’elle est contrainte ou choisie, selon qu’elle est une condition de survie ou qu’elle fait partie d’un mode de vie et d’une identité.

Entre soi, des havres de paix

Les familles grandes bourgeoises ont, elles, une caractéristique récurrente, la multiterritorialité : leur vie s’inscrit dans plusieurs résidences (appartement parisien, maison familiale ou château en province, et autres villas dans des lieux de villégiature...). Le duc de Brissac, grand voyageur, disposait toutefois d’une maison familiale où se ressourcer. Polytechnicien, ayant épousé May Schneider, héritière du groupe homonyme dont il se retrouva le PDG, il fut au plus haut point irrité par ces ouvriers licenciés refusant d’aller prendre l’emploi qu’on leur proposait à quelques départements de distance, lui qui n’hésitait pas à parcourir la France et le monde, pratiquant la vénerie et la chasse à tir, participant aux croisières mondaines, hauts lieux de gestion du capital social.

Cette gestion du capital social caractérise cette classe dont il constitue l’une des richesses. L’inventaire des participants aux convois funéraires, aux cérémonies de mariage, aux conseils d’administration, aux dîners et autres festivités met en évidence une accumulation fastueuse de pouvoirs et de prestiges. Les 387 participants à la fête donnée par M. Ernest-Antoine Seillière à l’occasion de son cinquantième anniversaire, en 1987, dans les salons du Musée Grévin, en sont une parfaite illustration. Sans être exhaustif, on citera la présence de MM. Michel David-Weill (Banque Lazard), André Bettencourt (ancien ministre, dont la femme, Liliane Bettencourt, née Schueller, est l’héritière du fondateur de L’Oréal, et à ce titre détient la plus grande fortune française), Philippe Bouriez (groupe Cora-Revillon), Jean-François Lemoine (propriétaire de Sud-Ouest), Edouard de Ribes (groupe Rivaud, gendre de M. Jean de Beaumont, président du Cercle de l’Union interalliée, et lui-même vice-président de ce cercle), Guy et David de Rothschild, Jean-Pierre Soisson (ancien ministre), Pierre-Christian Taittinger (maire du 16e arrondissement de Paris, propriétaire d’un empire viticole et hôtelier, dont le Crillon et la chaîne Campanile).

En outre, ce capital social, autrement dit leur système de relations, s’étend bien au-delà des frontières nationales : par les alliances matrimoniales, les études dans des établissements internationaux (collèges suisses notamment), les relations d’affaires, les croisières ou les chasses aux grands fauves, leur mode de vie s’épanouit dans un espace très large. Avec cependant la capacité d’inscrire cette mobilité (qui peut être de longue durée, à l’occasion d’études à l’étranger...) dans des espaces où l’homogénéité sociale est assurée. Les palaces reconstituent, en tous lieux, des havres de paix et d’entre-soi, comme La Mamounia loin de la chaleur et du tohu-bohu de Marrakech.

Le discours sur les avantages acquis et la remise en question de formes sociales de protection ou de propriété entre en contradiction avec l’usage réel que les classes les plus favorisées en font elles-mêmes. Les déclarations sur le « moins d’Etat » sont peu cohérentes avec des pratiques qui puisent dans les fruits de l’intervention publique, qui se servent largement des biens publics.

La recherche d’un « job », par exemple, permet d’accéder à la Sécurité sociale, pour soi et sa famille. On trouve des descendants de grandes familles dans la presse ou dans des cabinets de consultants, qui obtiennent ainsi une couverture sociale leur ouvrant l’accès aux soins les plus coûteux.

L’utilisation des équipements collectifs relève de la même logique, à cela près qu’elle ne suppose pas de contrepartie. Grands voyageurs, les bourgeois sont de fréquents usagers des infrastructures publiques liées aux transports : aéroports, ports et routes. On notera aussi l’usage des établissements scolaires les plus prestigieux. Le recrutement de l’Institut d’études politiques de Paris, de l’Ecole
nationale d’administration (ENA), de Polytechnique, de Centrale, de l’école des Hautes études commerciales (HEC), est loin d’être démocratique. Les grands équipements publics socioculturels, musées, théâtres, opéras, sont largement utilisés par ces familles qui entretiennent une relation privilégiée avec ce type de culture. Et elles sont les seules à pouvoir se ménager des niches réservées dans des espaces collectifs, comme elles le font avec les concessions qui accordent à leurs clubs l’usage exclusif d’hectares du bois de Boulogne, par exemple.

Le traitement des espaces publics est aussi révélateur d’inégalités profondes dans les conditions de vie générées par l’intervention des administrations locales. Ainsi, à Paris, le périphérique, et son vacarme incessant, est couvert dans les quartiers de l’Ouest, ceux de la bourgeoisie, alors qu’il est à l’air libre dans de nombreux autres secteurs. La voirie est différente entre les beaux quartiers et les arrondissements pauvres. Les avenues larges et aérées de l’Ouest contrastent avec les rues étroites et encombrées des secteurs où la population immigrée est particulièrement nombreuse.

Cependant, la grande bourgeoisie apparaît, sous certains rapports, très hétérogène. Des inégalités se font en effet sentir dans toutes les formes de capitaux qui contribuent à fonder l’appartenance objective au groupe, qu’il s’agisse de richesses matérielles, culturelles, sociales ou symboliques (lire « Qui sont les riches ? »).

Dans le domaine du capital scolaire, certains grands bourgeois sont d’anciens élèves d’écoles prestigieuses, comme Polytechnique ou l’ENA. Le duc de Brissac était polytechnicien et PDG du groupe Schneider. M. Ernest-Antoine Seillière est énarque. D’autres, moins brillants, ont fait des études médiocres et ont intégré une modeste école de commerce ; ce qui leur permet, quand même, d’occuper un strapontin dans la direction de la société familiale.

Quant au capital social, il représente certainement celui pour lequel la tolérance aux disparités demeure la plus faible. En effet, cette forme de richesse est essentielle au groupe. En être démuni signe une marginalisation. Tout comme le fait d’avoir acquis récemment sa fortune. L’entrée dans la grande bourgeoisie se réalise par l’enrichissement. Mais cela ne suffit pas. Il faut du temps pour accumuler le réseau de relations qui sera le garant de l’honorabilité.

Une noblesse de l’argent

Être un grand bourgeois, cela se mérite et cela se prouve. On ne doit cette qualité qu’au groupe lui-même, qui coopte ses membres de façon permanente. Il ne s’agit pas d’un diplôme délivré et authentifié par l’Etat, garanti une fois pour toutes. Le grand bourgeois doit toujours payer de sa personne, être dans les endroits qui comptent, dans les cocktails, les tribunes des grands prix hippiques, les premières d’opéra ou les vernissages d’expositions.

Il faut du temps pour accumuler cette magie sociale qui transforme en qualité de la personne ou de la lignée les richesses socialement accumulées. Un nom peut certes avoir plus ou moins de prestige, et les patronymes nobles conservent encore un avantage, deux siècles après la Révolution. Plus on grimpe dans l’échelle sociale, moins la richesse semble avoir d’importance. Le bourgeois (autrefois le noble, mais l’enjeu est justement la fondation d’une noblesse de l’argent) est ce qu’il est parce qu’il est un être supérieur, et s’il est riche, cela n’est dû qu’au caractère exceptionnel de sa personne.

Ainsi transfigurées, les qualités des membres du groupe apparaissent indépendantes du niveau de fortune. Au fond, il y va de la crédibilité et de la légitimité de la grande bourgeoisie, comme classe dominante, que sa position ne soit pas ramenée à sa richesse matérielle. Les statistiques de l’impôt de solidarité sur les grandes fortunes (ISF) montrent que les écarts de patrimoine sont très élevés et que la relative indépendance de la bourgeoisie à l’égard de l’argent est constitutive de sa force symbolique comme classe dominante. A contrario, la position encore peu assurée des nouveaux riches renvoie à l’unidimensionnalité de leur richesse.

Construction permanente des agents qui la composent, la bourgeoisie se cimente grâce à une technique sociale bien éprouvée, la cooptation. Que ce soit pour admettre de nouveaux membres dans les cercles, pour accueillir de nouveaux adolescents dans tel ou tel rallye, pour remplacer un membre d’un conseil d’administration, on pratique comme les immortels de l’Académie française : par vote, on choisit son semblable, ainsi assuré d’atteindre cette immortalité symbolique qui n’est pas l’un des moindres privilèges du groupe.

L’individualisme n’a guère de prise dans ce milieu et l’individu y est avant tout le représentant d’une famille et d’une lignée. On peut à la rigueur s’y faire un prénom. Mais le nom, lui, vient de l’héritage, ce qui n’est pas sans signifier de lourdes charges pour le bénéficiaire. Le grand bourgeois est le maillon d’une lignée, ou, mieux, la maille d’un filet, pris entre la solidarité des générations et celle des contemporains.

L’importance de la famille dans le dispositif demeure primordiale. Elle conditionne les modalités de la transmission et donc de la reproduction. Mais les héritages d’importance sont exigeants : il faut des héritiers aptes à les recevoir. Relayé par un système scolaire ad hoc, le milieu familial joue un rôle de premier plan dans leur formation. On comprend la vigilance à l’égard des alliances et de la préservation de la structure familiale. Divorces, concubinage, familles monoparentales sont à éviter à tout prix, et la grande bourgeoisie doit se tenir à l’écart du processus de désagrégation de la cellule familiale. Si les mariages paraissent moins arrangés qu’autrefois, ils restent une pièce maîtresse dans la pérennité de la lignée. Les rallyes constituent une instance particulièrement efficace en permettant une socialisation des adolescents selon les normes du groupe. Les futurs héritiers y apprennent à reconnaître d’instinct leurs semblables, en tant que partenaires possibles pour leur vie affective, sexuelle et surtout matrimoniale (lire Les rallyes).

Si la conscience du collectif fait partie des apprentissages de base dans les hautes sphères, le progrès des individualismes sape les solidarités anciennes dans les milieux populaires et les engagements militants dans les classes moyennes. Alors que se délitent les sentiments de classe dans la société, la grande bourgeoisie reste consciente de ses intérêts et soucieuse de sa cohésion.

Sous la soupe idéologique de l’individualisme triomphant, du marché et de la concurrence, les grands bourgeois se concoctent leur ultime privilège : le sens du collectif, le sens des intérêts de classe. Les institutions formelles ou informelles de leur société connaissent une vitalité qui n’a d’égale que les intérêts en jeu. Parmi ces institutions, certaines régulent les contradictions secondaires que peuvent faire apparaître ponctuellement les rivalités commerciales. C’est le rôle des clubs d’entreprises. Ainsi, le Comité Colbert, créé en 1954 par Jean-Jacques Guerlain, rassemble des industriels du luxe, par ailleurs rivaux, comme les couturiers Dior et Chanel, ou les joailliers Boucheron et Mellerio. Ce petit monde, conscient de son unité patiemment construite au cours des générations, réactive sans cesse cette conscience de classe, dans la saine émulation d’une concurrence qui ne saurait aller jusqu’à l’élimination de l’autre, ce qui serait une sorte d’autodestruction.

Par MICHEL PINÇON ET MONIQUE PINÇON-CHARLOT
Sociologue, directeur de recherche au CNRS (CSU-Iresco). Auteur de nombreux ouvrages sur la bourgeoisie, dont Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte / Repères, Paris, 2000.
Sociologue, directrice de recherche au CNRS (CSU-Iresco). Auteure de nombreux ouvrages sur la bourgeoisie, dont Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte / Repères, Paris, 2000.

© Le Monde Diplomatique, 2001

Et une petite bibliographie pour poursuivre la réflexion :
Robert Castel, Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Fayard, Paris, 2001.
Duc de Brissac, Le château d’en face. 1974-1985, Grasset, Paris, 1986.
Monique de Saint Martin, L’Espace de la noblesse, Métailié, Paris, 1993.
Gabriel Milési, Les nouvelles 200 familles. Les dynasties de l’argent, du pouvoir financier et économique, Belfond, Paris, 1990.
L'article de Pierre Bourdieu et Monique de Saint Martin, « Le Patronat », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, n° 20-21, mars-avril 1978.
Anne Laferrère, La transmission des grandes fortunes : profil des riches défunts en France, Economie et Statistique, 1994, n° 273.
ATELIER PARISIEN D'URBANISME, Paris et ses quartiers, APUR, Octobre 2001, Paris.

Quelques citations sociologiques

La sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle devait être un savoir d'expert réservé aux experts.
Pierre Bourdieu, sociologue
Questions de sociologie, éd de Minuit, 1994

Les « lieux communs », qui jouent un rôle énorme dans la conversation quotidienne, ont cette vertu que tout le monde peut les recevoir et les recevoir instantanément : par leur banalité, ils sont communs à l'émetteur et au récepteur. A l'opposé, la pensée est, par définition, subversive : elle doit commencer par démonter les « idées reçues » et elle doit ensuite démontrer. Quand Descartes parle de démonstration, il parle de longues chaînes de raisons. Ça prend du temps, il faut dérouler une série de propositions enchaînées par des « donc », « en conséquence », « cela dit », « étant entendu que »...
Pierre BOURDIEU, sociologue
Sur la télévision, Raisons d'agir, 1996, p. 30-31


Il est toujours possible de contraindre une masse d'agents sociaux à l'obéissance en recourant à une répression plus ou moins féroce. Mais un système fonctionnant uniquement à la coercition ne serait pas viable longtemps. Pour éviter d'avoir à casser continûment des têtes, il vaut mieux façonner durablement les corps et ''l'esprit'' qui les habite. Pour la longévité d'un système, il faut impérativement que ceux qui le font fonctionner soient disposés à le faire de leur plein gré, au moins pour l'essentiel. Et plus leur adhésion est spontanée, moins ils ont besoin de réfléchir pour obéir, mieux le système se porte.
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Faire de nécessité vertu, c'est avoir appris à refuser en nous-mêmes ce que la société nous refuse, à assumer sans réticence le destin social le plus probable qui nous est réservé et à nous réconcilier avec l'inévitable. [...] Qu'il s'agisse d'épouser un ouvrier spécialisé ou un P.D.G., de préparer un D.U.T. d'électronique, d'habiter en cité-dortoir ou un quartier résidentiel, de boire du gros rouge ou des grands crus à tous les repas, chacun a le sentiment qu'il fait ce qu'il doit, qu'il a ce qui lui est dû. En d'autres termes, l'ordre établi n'est pas seulement un ordre établi à l'extérieur de nous-mêmes. C'est aussi et surtout un ordre établi en nous-mêmes...
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence des camps de concentration, le ''c'est ainsi'' que l'on peut prononcer, avec Hegel, devant les montagnes, revêt la valeur d'une complicité criminelle.
Pierre Bourdieu, sociologue
Leçon sur la leçon, Minuit, 1982


Si le fonctionnement des champs sociaux est générateur pour les uns, les dominants, les nantis, les privilégiés, les héritiers, les habiles, de profits multiples qui rendent leur existence épanouissante et délectable, il est pour les autres, beaucoup plus nombreux, la source de misères, de souffrances et d'indignités qui rendent leur existence désespérante, mutilante, voire déshumanisante.
Alain Accardo, sociologue
Introduction à une sociologie critique, Agone, 2006


Une des façons de se débarrasser de vérités gênantes est de dire qu'elles ne sont pas scientifiques, ce qui revient à dire qu'elles sont "politiques", c'est-à-dire suscitées par "l'intérêt", la "passion", donc relatives et relativisables. [...] [pourtant] nous sommes tous engagés. Il y a ceux qui s'en défendent et ceux qui l'affichent. Ceux qui le nient et ceux qui l'avouent. Nous sommes tous sujets de nos convictions et de nos passions. Il ne faut pas s'en cacher et se présenter comme extérieur au grand théâtre du monde.
Pierre Bourdieu, sociologue
Questions de sociologie, Minuit, 1984.


Les clichés, les phrases toutes faites, l'adhésion à des codes d'expression ou de conduite conventionnels et standardisés, ont socialement la fonction reconnue de nous protéger de la réalité, de cette exigence de pensée que les évènements et les faits éveillent en vertu de leur existence.
Hannah Arendt, Considérations morales, Rivages poche, 1996 (1971)

dimanche 21 octobre 2007

L'Estaque en automne






Dimanche 7 octobre, balade à l'Estaque. Ce quartier magnifique, situé dans le 16 e arrondissement de Marseille, comporte un petit port, qui a inspiré les peintres (Cézanne, Braque, Renoir, Dufy...) aussi bien qu'un cinéaste comme Robert Guédiguian (Marius et Jeannette). Le provençal estaco lui a donné son nom, qui signifie « attache », et par extension, « anneau d'amarrage », ou « port ».
On y bénéficie d'une vue exceptionnelle sur la mer et les rues de ce grand village sont à tomber à la renverse. Qui pourrait croire que l'on est encore en ville ?
Avant de partir, comme tout Marseillais qui se respecte, ne pas manquer les spécialités du secteur : les pannisses (tranches de purée de pois-chiches frites) et les chichi-frégis (sortes de beignets saupoudrés de sucre).
Une dernière chose : ce 7 octobre, nous avions un temps estival (25° à 26 °), petits veinards que nous étions !

La Foire Internationale de Marseille








Entre le 21 septembre et le 1er octobre se tenait la Foire Internationale de Marseille au Parc Chanot. Cette institution marseillaise continue, paraît-il, à attirer les foules après 82 ans de bons et de loyaux services. Près de 1 300 exposants permettent aux visiteurs de faire un tour du monde des saveurs, des cultures et des produits des cinq continents. On y trouve de tout : des produits pour la la maison, la mode, le plein air, les loisirs, la gastronomie, etc.
Florence et moi y sommes passés le 26 septembre. Le Parc Chanot se situant à deux pas de chez nous, nous aurions eu mauvaise grâce à ne pas y jeter un oeil. En tant que nouveau Marseillais, j'avais reçu une invitation du maire Jean-Claude Gaudin à le retrouver pour un cocktail au stand de la ville (la base de données de la municipalité marseillaise est visiblement très bien alimentée, et le service communication très actif pour accueillir les migrants...). Bingo : entrée gratuite ! Balade au stand du Vietnam, de l'Italie, du Sud-Ouest, et des plats très appétissants ici et là : saucissons et jambons de terroir, chocolat et charcuterie de la péninsule italienne... En fin de journée, donc, cocktail du Maire invitant les nouveaux Marseillais uniquement (l'accès était refusé par le service de sécurité aux Marseillais "indigènes", dépités : "Non, c'est pour les nouveaux arrivants sur Marseille uniquement !"). Dans son discours, Jean-Claude Gaudin (que nous avons d'ailleurs croisé chez notre caviste !) a expliqué que nous étions 6 000 nouveaux Marseillais cette année, et que la ville continuait d'attirer du monde, etc. Et puis, il y a eu un bilan économique (une ville qui "reprend du poil de la bête" après les années Defferre), une pique contre Aix et sa mairesse (polémique autour de Plan-de-Campagne, qui fournit des taxes à Aix, et Marseille qui court - ou courait - derrière des entreprises susceptibles de s'implanter sur son territoire), la sécurité du métro laissant à désirer et contraignant paraît-il à le fermer en semaine dès 21 h (pique légère de Gaudin contre l'Etat qui n'affecte pas assez de moyens à la police nationale pour des tâches qui ne concernent pas une police municipale qu'il ne souhaite pas voir armée, avec un budget de surcroît non extensible), un peu de sarkozysme mais pas trop (Gaudin présente son équipe comme des gens "formidables", en comparant avec la manière de "Sarko" de présenter les gens qu'il admire). Et un cocktail sublime pour clore la soirée au Parc : petits fours tous plus savoureux et fins les uns que les autres, champagne...
Florence et moi n'avons pu nous empêcher de comparer avec l'accueil réservé (inexistant...) aux nouveaux Parisiens. La seule morale de cette histoire, s'il doit y en avoir une ! Certes, les prochaines municipales sont dans la ligne de mire aussi. N'empêche...

mardi 16 octobre 2007

Tentez le voyage avec le juge Feng

Un vrai chef d'oeuvre nous arrive de Chine, un véritable miracle de cinéma : Le Dernier voyage du juge Feng.

Petite revue de presse sur le sujet :

LE NOUVEL OBS

Chronique de campagne

Dans «le Dernier Voyage du juge Feng», Liu Jie, 39 ans, prend le contre-pied des jeunes cinéastes chinois en s'intéressant à la vie d'un juge itinérant dans les vertueuses campagnes du Yunnan. Roboratif.


C'est en tombant sur un article consacré au juge Feng, un juge itinérant chargé de rendre la justice dans les villages de la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine, que Liu Jie, directeur de la photo depuis quatorze ans, a sauté le pas. Jusqu'alors, ce petit homme au visage rond se contentait d'oeuvrer dans l'ombre de ses mentors, dont Wang Xiaoshuai, le réalisateur du très beau «Beijing Bicycle» en 2000. Au besoin, il cassait sa tirelire et s'improvisait producteur. Un homme discret. Mais aussi droit et coléreux. Et hostile au cinéma de certains de ses confrères. C'est parce qu'il en avait assez des sujets sur les mégapoles qu'il s'est jeté dans le grand bain, décidé à militer de son côté pour la défense des minorités dans les campagnes. Des mois durant, Liu Jie a fait de pénibles allers et retours entre Pékin et le Yunnan dans les pas de ce fameux juge Feng, réputé pour son intelligente application de la loi dans des villages de montagne où le non-respect des traditions peut déclencher des séismes pour des décennies.Dans «le Dernier Voyage du juge Feng», liu Jie raconte ainsi l'histoire d'un villageois ayant porté plainte parce que l'urne de ses ancêtres, enterrée dans un champ, avait été détruite par le cochon d'un voisin. «A la ville, dit-il, il n'y aurait pas eu de jugement. A la campagne, les gens sont respectueux de leurs ancêtres. Juger l'affaire à la légère aurait déclenché une guerre entre les deux familles. Celle-ci aurait engendré dans le village du mépris envers la loi, que les habitants auraient fini par ne plus respecter.»Tourné avec seulement deux comédiens professionnels et une inspectrice des impôts qui interprète une greffîère, le film met en scène de vrais villageois dans des situations d'improvisation totale. «Je leur donnais le canevas, des cas litigieux qu'ils connaissaient pour la plupart, et ils jouaient. Comme ils parlaient un dialecte, ce n'est que le soir, la scène en boite, que le traducteur m'expliquait ce qu'ils avaient fait.» Souvent cocasse, parfois poignant, son film rend tout à la fois hommage à la beauté d'une profession - juge itinérant - dont il n'existe plus que de rares spécimens dans le pays, et à celle de populations (« deux tiers du peuple chinois tout de même», insiste liu Jie) accrochées à leurs valeurs. Des valeurs en lesquelles le réalisateur croit au moins aussi fort. «J'ai de la nostalgie pour les vertus traditionnelles chinoises. Elles se perdent. On ne parle plus qu'économie et argent. L'influence des villes s'impose sournoisement dans les campagnes lorsque les jeunes y retournent. Et l'influence du communisme, qui obligeait les gens à vivre dans une certaine moralité, n'existe plus.» Acte de résistance, geste de militant et d'esthète, «le Dernier Voyage du juge Feng» a été couronné d'un prix à Venise en 2006 et diversement reçu en Chine. «Mon message est qu'il faut améliorer les conditions de vie dans les campagnes pour maintenir l'équilibre du pays. Qui l'a compris chez nous ? Très peu de gens.» Qu'importe, Liu Jie est déjà reparti en guerre, un second projet de film sous le bras.

ME Rouchy (TéléCinéObs)

LE FIGAROSCOPE
On fait avec ce juge un voyage pittoresque, drôle, émouvant et riche d’enseignement. Les trois personnages, finement dessinés, se détachent sur fond de paysages somptueux et de vie quotidienne ancestrale. Au fil de péripéties étonnantes et souvent savoureuses, le cinéaste développe une réflexion pénétrante sur le droit et l’exercice de la justice. La sagesse empirique du juge Feng, astucieux et débonnaire, lui fait allier un grand sens de la légalité avec un respect non moins grand des traditions et de la complexité humaine. Et il est joliment secondé par le tact psychologique de Yang. Le couple professionnel et discrètement sentimental qu’ils forment après des années passées ensemble contraste avec la jeunesse inexpérimentée et intransigeante d’Ah-Luo, jeune juriste imbu de théories – qui ne résistent pas à la passion. Voilà un excellent premier film, intelligent et sensible, porté par des interprètes pleins de charme.

TELERAMA

Deux juges, l'un novice, l'autre vieillissant, et une greffière qui crapahutent au fin fond de la Chine : voilà une caravane pittoresque, un tribunal ambulant comme il en existe dans les provinces les plus reculées du pays. Il s'agit d'une réalité méconnue que le réalisateur Liu Jie nous fait découvrir dans cette satire tendre, confrontation volontiers cocasse entre tradition rurale et morale d'Etat. Pas facile de régler un litige comme celui d'une tombe saccagée par un cochon.

Face aux lois ancestrales des minorités ethniques, la justice d'Etat paraît ici aussi engoncée qu'inappropriée. La bonne idée est de faire rejail­lir la difficulté de la tâche au coeur même du trio, bientôt divisé sur le jugement à rendre. La part menue de la fiction et la cohabitation bancale des acteurs professionnels avec les amateurs affaiblissent parfois le film. Mais le voyage, réellement hors des sentiers battus, à travers des paysages majestueux, réserve des images d'une Chine immémoriale qu'on n'a pas l'habitude de voir.

Jacques Morice

Viva el Prado !


Nous voilà Marseillais depuis, eh bien, depuis le mois d'août !








Comme le titre de ce message l'indique, nous habitons le quartier du Prado, c'est-à-dire les fameux quartiers sud de la "cité phocéenne". La plage à 15 minutes à pied du domicile !
Pour ceux que ça intéresse, sachez enfin qu'il existe un "roman de Marseille" en 3 tomes, signé par l'écrivain Yann de l'Ecotais : Le Vieux Port. Tout un programme...
Jean-Yves et Florence