mardi 13 novembre 2012

Il était une fois une daube

Quelle que soit par ailleurs la réputation d’un plat, saboter une recette est à la portée de n’importe quel cuisinier gâte-sauce, de n’importe quel margoulin des fourneaux. L’absence de talent est encore plus éclatante lorsqu’on y emploie les gros moyens, et que l’on n’a pas peur des grosses ficelles. C’est ce que je me suis dit le soir de la présentation d’une interminable chose gluante, qu’on n’ose pas appeler un film, mais plutôt un interminable clip baveux, vilain comme tout, bourré de clichés avariés à en dégueuler la bouche pleine, le mal nommé « Il était une fois la Provence » : immense daube, énorme bouse, à hurler au chef-d’œuvre devant la contemplation d’une crotte de toutou. Dire que, dans cette épouvantable galère musicale désertée par les muses, pour dire un pôvre texte d’André Bercoff sur le soleil de la Provence, les cigales, le soleil de la Provence et encore les cigales, on a embarqué un Michel Galabru, ex-Joseph Bouvier redevenu ici gendarme en balade… Pour bien faire sentir la merveille, il faudrait parler des nombreux, trop nombreux épisodes musicaux, dont le film est à la fois emballage et surtout prétexte à lancer des chanteurs et des chanteuses, sous-ersatz gueulards de Garou, clonages vocaux des déjà synthétiques et dispensables Céline Fabian et Lara Dion, sans oublier des ambiances et des textes dégoulinant de kitsch à filer des complexes de finesse et de génie à l’immense Luc Plamondon… Il serait vain de prétendre ici décerner la palme d’or du laid, du ridicule et du beauf - il faudrait choisir : est-ce le tour de chant inspiré du Monte-Cristo de Dumas, où un hurleur en costume passe son temps à gueuler « Dantès » ? Est-ce le violonneux « Les Ailes du Moulin » et l’apparition soudaine, derrière le Guignol, d’un faux Daudet Alphonse en perruque et postiche ? Est-ce « Jardin de Lumière » où l’on n’hésite pas à filmer, avec force couchers de soleil sous filtres colorés triple épaisseur, musiciens et piano à queue baignant les pieds dans l’eau ou bien plantés au milieu d’un joli champ de lavande bleu-mauve ? Est-ce le larmoyant « Yolanda », son faux Roi René, son chanteur en armure, son faux duel entre une épée et une rose ? Est-ce « Nostradamus », prétexte à équiper de guitares électriques des zozos en habits 17e ? Ou bien est-ce « Viens dans le Sud », sa brochette de niaises chanteuses et de niais chanteurs qui se trémoussent en studio, les yeux dans les yeux et le sourire pour unique expression faciale, et pour unique propos l’invitation faite au spectateur de venir les rejoindre dans leur Sud de toc et de pacotille ? C'est à tomber par terre, une esthétique comme celle-là, digne des pubs de pâtée pour chien, des croquettes pour minou... Combien étaient-ils à piaffer d'impatience, les spectateurs, dans le cadre prestigieux du Palais du Pharo, à Marseille, devant un tel naufrage de la beauté et de l'intelligence, difficile de le dire : affamés comme des anthropophages, ils se sont vengés sur le buffet qui, lui, était impeccable. Quand tant de projets, tant d’artistes ont du mal à se financer, on pourra, au choix, s’étonner ou s’indigner de la débauche de moyens au service de ce machin à la sauce tellement épaisse qu’il fait honte à la daube provençale, la vraie.