Quelle que soit par ailleurs la
réputation d’un plat, saboter une recette est à la portée de n’importe quel
cuisinier gâte-sauce, de n’importe quel margoulin des fourneaux. L’absence de
talent est encore plus éclatante lorsqu’on y emploie les gros moyens, et que
l’on n’a pas peur des grosses ficelles. C’est ce que je me suis dit le soir de
la présentation d’une interminable chose gluante, qu’on n’ose pas appeler un
film, mais plutôt un interminable clip baveux, vilain comme tout, bourré de
clichés avariés à en dégueuler la bouche pleine, le mal nommé « Il
était une fois la Provence » :
immense daube, énorme bouse, à hurler au chef-d’œuvre devant la contemplation
d’une crotte de toutou. Dire que, dans cette épouvantable galère musicale
désertée par les muses, pour dire un pôvre texte d’André Bercoff sur le soleil de la Provence, les cigales, le
soleil de la Provence et encore les cigales, on a embarqué un Michel Galabru,
ex-Joseph Bouvier redevenu ici gendarme en balade… Pour bien faire sentir la
merveille, il faudrait parler des nombreux, trop nombreux épisodes musicaux,
dont le film est à la fois emballage et surtout prétexte à lancer des chanteurs
et des chanteuses, sous-ersatz gueulards de Garou, clonages vocaux des déjà
synthétiques et dispensables Céline Fabian et Lara Dion, sans oublier des
ambiances et des textes dégoulinant de kitsch à filer des complexes de finesse
et de génie à l’immense Luc Plamondon… Il serait vain de prétendre ici décerner
la palme d’or du laid, du ridicule et du beauf - il faudrait choisir :
est-ce le tour de chant inspiré du Monte-Cristo de Dumas, où un hurleur en
costume passe son temps à gueuler « Dantès » ? Est-ce le violonneux « Les
Ailes du Moulin » et l’apparition
soudaine, derrière le Guignol, d’un faux Daudet Alphonse en perruque et
postiche ? Est-ce « Jardin de Lumière » où l’on n’hésite pas à filmer, avec force couchers
de soleil sous filtres colorés triple épaisseur, musiciens et piano à queue
baignant les pieds dans l’eau ou bien plantés au milieu d’un joli champ de
lavande bleu-mauve ? Est-ce le larmoyant « Yolanda », son faux Roi René, son chanteur en armure, son
faux duel entre une épée et une rose ? Est-ce « Nostradamus », prétexte à équiper de guitares électriques des
zozos en habits 17e ? Ou bien est-ce « Viens
dans le Sud », sa brochette de niaises
chanteuses et de niais chanteurs qui se trémoussent en studio, les yeux dans
les yeux et le sourire pour unique expression faciale, et pour unique propos
l’invitation faite au spectateur de venir les rejoindre dans leur Sud de toc et
de pacotille ? C'est à tomber par terre, une esthétique comme celle-là,
digne des pubs de pâtée pour chien, des croquettes pour minou... Combien
étaient-ils à piaffer d'impatience, les spectateurs, dans le cadre prestigieux
du Palais du Pharo, à Marseille, devant un tel naufrage de la beauté et de
l'intelligence, difficile de le dire : affamés comme des anthropophages,
ils se sont vengés sur le buffet qui, lui, était impeccable. Quand tant de
projets, tant d’artistes ont du mal à se financer, on pourra, au choix,
s’étonner ou s’indigner de la débauche de moyens au service de ce machin à la
sauce tellement épaisse qu’il fait honte à la daube provençale, la vraie.
mardi 13 novembre 2012
lundi 9 janvier 2012
Un Robert, sinon rien !
Il existe, paraît-il, des alcools adaptés aux humeurs et aux malheurs du temps. Peut-être, qui sait, y a-t-il des films distillés selon les mêmes recettes. Vous offrir un alcool corsé pour vous adoucir paradoxalement l’existence, c’est un peu le propos du dernier film de Guédiguian, qui n’a rien d’une tisane, malgré son concept de conte inspiré par Hugo Victor (le poème « Les Pauvres Gens »). Du Kilimandjaro, pas plus que les héros, des prolétaires suspects d’embourgeoisement que d’autres prolétaires, plus jeunes, plus précaires, dépourvus d’idéaux, « affranchis », viendront plumer, on ne verra la cime, ni les neiges éternelles. En revanche, on verra comment, confronté à l’impensable (être volé par d’autres petites gens), un couple va, en découvrant les motivations altruistes de plus précaire que soit, accomplir un autre impensable : s’occuper des enfants d’un des agresseurs, envers et contre tous - contre tous ceux qui n’entendent pas que des prolétaires s’attaquent, aussi sauvagement, à d’autres prolétaires. Car ce que semble nous dire ce Guédiguian presque mystique, en cette fin 2011, ce début 2012, c’est que la révolution sera intérieure ou ne sera pas : transformer le monde commence par une révolution personnelle, qui consisterait à répandre le Bien plutôt que le Mal, autour de soi. On pense à l’humanisme de Renoir, rappelant que « chacun à ses raisons ». L’envers du conte, toutefois, est sombre, en dépit du beau soleil trompeur d’une Estaque si superbement filmée, loin des cartes postales. Toute solution de continuité, de transmission des idéaux en effet est bloquée dans un contexte de délabrement général : les jeunes générations ne reconnaissent d’autre loi que celle de la débrouille (s’emparer à tout crin du bien d’autrui pour survivre) ou encore la loi du talion (rendre le mal pour le mal qu’on nous a fait, certes indûment). Au fond, ce qui pend au nez des faux héros de cette histoire, comme à nous tous, c’est de finir vautrés pour toujours dans une chaise longue, contents autant qu’il y a des saucisses et du Ricard. A tous ceux-là, Guédiguian offre une réflexion forte, bouleversante parfois, émaillée de modestes consolations, non sans philosophie, comme ce truculent bistrot où l’on vous sert le breuvage de votre peine du moment...
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