Nos dernières sorties ciné.
Le dernier cru Eastwood, L’Echange, nous a enchantés tous deux, quand bien même l’enchantement paraît peu adéquat quant au sujet… Voilà, en effet, un film noir. Très noir, même. Mais de cette belle noirceur classique, tout en sobriété, qui démontre comme on l’a dit tant de fois, que Eastwood est le dernier des grands classiques. Si cette histoire de rapt d’enfant(s), de collusion entre les institutions policières et psychiatriques pour faire admettre contre toute évidence à une mère que l’enfant qu’on lui a remis est bien son fils, glace le sang, tout cela est filmé sans esbroufe, avec un sens du ton juste, une économie de moyens qui va à l’essentiel : servir une histoire, d’abord une histoire, saisissante. Quant au message sous-jacent : dénonciation par Eastwood des petits et grands arrangements organisés par les institutions jusque dans l’époque contemporaine (les années Bush par exemple) ? Piste plausible. Le contraste abyssal entre la façon sèche dont Eastwood filme la pendaison du tueur d’enfants, que « l’institution » n’a même pas cherché visiblement à ausculter, psychiatriquement parlant, et le harcèlement fait à cette mère que l’on donne pour « folle » dès lors qu’elle refuse de se soumettre au discours manipulatoire des autorités, ne peut que creuser la réflexion - car voilà bien un portrait de l'ordre à tout prix, à n'importe quel prix…
Le cinéma italien produit de nouveau de grands films. Dans la suite presque logique de Gomorra, Il Divo de Paolo Sorrentino restitue quelque chose du pourrissement, non du royaume du Danemark, mais des institutions de la péninsule italienne. Formidable jeu de l’acteur principal, Toni Servillo, qui incarne Giulio Andreotti, sept fois Président du Conseil, allié tour à tour de la mafia et du Vatican, lié à la loge P2, mouillé jusqu’au cou dans « les affaires » sans jamais se tremper lui-même, impénétrable jusqu’au bout, plusieurs fois soupçonné, jamais condamné. Ce Nosferatu de la politique italienne se balade de son pas de petit vieux dans ce film crépusculaire où les morts se succèdent à un rythme trépidant, sur un ton qui est celui de l’humour le plus noir. Inoubliable scène de promenade dans Rome la nuit, avec pour unique compagnie celle des agents de sécurité de la République. Inoubliable scène de fête dans un palais, où se trémoussent vieux briscards de la politique et jeunes naïades, sous l’œil impénétrable de celui qu’on appelait aussi « le Moloch ».
Issu de l’esprit grolandais, Louise Michel dézingue le néolibéralisme à la mode, à l’aide d’un humour noir et totalement absurde. Ou quand des ouvrières brutalement licenciées se cotisent pour faire buter leur patron… Réjouissant, souvent drôle, parfois grinçant, l’exercice entre en résonance avec les préoccupations contemporaines liées au contexte de la crise financière. Moment étonnant de vérité et d’impasse lorsque les deux apprentis tueurs, Yolande Moreau et Bouli Lanners, débarquent sur l’île de Jersey pour achever leur contrat : c’est alors en effet que leur quête de patron à rencontrer physiquement, puis à exécuter, bute sur de simples rangées de boîtes aux lettres de sociétés. A l’image de son entreprise, le patron est délocalisé…
Les Noces Rebelles de Sam Mendes réunit et disloque le couple mythique du mythique Titanic. Il n’est plus question de faire chanter ici à Céline Dion de niaises bluettes promptes à faire monter le taux de sucre des diabétiques. Au contraire. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, se plaisent et se mettent ensemble sur un malentendu. Au lieu d'un bateau, c'est un couple qui coule... C’est formidablement interprété et mis en scène. Kate Winslet est extraordinaire en femme américaine qui reporte rêves et ambitions sur un homme peu apte, et au fond peu désireux de les porter. Juste également, Leonardo DiCaprio est ce type fanfaron qui ne se sait pourtant pas d’autre destin que celui de son père : travailler dans la même boîte que lui, et ce sera tout, merci monsieur. Et cela finit mal, comme un American Beauty des années cinquante, dans lequel l’entourage, professionnel et privé, se coule et se pétrifie dans un conformisme morbide, incapable de comprendre un seul instant le tragique de ce couple que tous idéalisent en un modèle, alors que ce n’est qu’une image, celle du vide – qui pourrait s’ouvrir sous leurs pieds.
Les Plages d’Agnès sont une œuvre magnifique d’Agnès Varda, toujours jeune. Il y a dans ce film un amour du cinéma, et plusieurs cinémas dans ce cinéma. C’est inventif, c’est jeune, c’est drôle, c’est formidable. Expérience à vivre. Après avoir vu un film-testament de cette envergure, on peut mourir tranquille. Ou mieux : retourner vivre, après cette très belle cure de jouvence.
Je finirai sur Slumdog Millionnaire du Britannique Danny Boyle, que je suis allé voir hier au soir. J’en reviens avec des sentiments ambivalents : s’il procure un véritable plaisir (on s’attache aux personnages, on frissonne avec eux…), il est d’une rare laideur (photographie, cadrages, rythme clipesque, musique envahissante et tonitruante). En dépit d’une histoire honnêtement racontée qui prend le spectateur à la gorge, tout est filmé avec une esbroufe, un sens du tape-à-l’œil exceptionnels. Le réalisateur nous dit : regarde un peu ce plan, coco, je filme des taudis indiens, je montre des ordures, mais je n’oublie jamais de faire bouger ma caméra pour dire aux jeunes de ne pas zapper, et en bonus, je montre toujours le petit détail qui fait joli dans un recoin de l’image. Ouais, vise un peu ce linge bleu sur fond d’ordures, vise un peu le chien filmé en contre-plongée comme dans les clips de Duran Duran… Tout le contraire du classicisme de Eastwood (cf L’Echange), tout l’inverse de l’inventivité pleine de jeunesse d’Agnès Varda (cf Les Plages d’Agnès). Voilà un film qui veut faire jeune, et qui affichera les rides précoces de sa vieille peau très, très vite.
Le dernier cru Eastwood, L’Echange, nous a enchantés tous deux, quand bien même l’enchantement paraît peu adéquat quant au sujet… Voilà, en effet, un film noir. Très noir, même. Mais de cette belle noirceur classique, tout en sobriété, qui démontre comme on l’a dit tant de fois, que Eastwood est le dernier des grands classiques. Si cette histoire de rapt d’enfant(s), de collusion entre les institutions policières et psychiatriques pour faire admettre contre toute évidence à une mère que l’enfant qu’on lui a remis est bien son fils, glace le sang, tout cela est filmé sans esbroufe, avec un sens du ton juste, une économie de moyens qui va à l’essentiel : servir une histoire, d’abord une histoire, saisissante. Quant au message sous-jacent : dénonciation par Eastwood des petits et grands arrangements organisés par les institutions jusque dans l’époque contemporaine (les années Bush par exemple) ? Piste plausible. Le contraste abyssal entre la façon sèche dont Eastwood filme la pendaison du tueur d’enfants, que « l’institution » n’a même pas cherché visiblement à ausculter, psychiatriquement parlant, et le harcèlement fait à cette mère que l’on donne pour « folle » dès lors qu’elle refuse de se soumettre au discours manipulatoire des autorités, ne peut que creuser la réflexion - car voilà bien un portrait de l'ordre à tout prix, à n'importe quel prix…
Le cinéma italien produit de nouveau de grands films. Dans la suite presque logique de Gomorra, Il Divo de Paolo Sorrentino restitue quelque chose du pourrissement, non du royaume du Danemark, mais des institutions de la péninsule italienne. Formidable jeu de l’acteur principal, Toni Servillo, qui incarne Giulio Andreotti, sept fois Président du Conseil, allié tour à tour de la mafia et du Vatican, lié à la loge P2, mouillé jusqu’au cou dans « les affaires » sans jamais se tremper lui-même, impénétrable jusqu’au bout, plusieurs fois soupçonné, jamais condamné. Ce Nosferatu de la politique italienne se balade de son pas de petit vieux dans ce film crépusculaire où les morts se succèdent à un rythme trépidant, sur un ton qui est celui de l’humour le plus noir. Inoubliable scène de promenade dans Rome la nuit, avec pour unique compagnie celle des agents de sécurité de la République. Inoubliable scène de fête dans un palais, où se trémoussent vieux briscards de la politique et jeunes naïades, sous l’œil impénétrable de celui qu’on appelait aussi « le Moloch ».
Issu de l’esprit grolandais, Louise Michel dézingue le néolibéralisme à la mode, à l’aide d’un humour noir et totalement absurde. Ou quand des ouvrières brutalement licenciées se cotisent pour faire buter leur patron… Réjouissant, souvent drôle, parfois grinçant, l’exercice entre en résonance avec les préoccupations contemporaines liées au contexte de la crise financière. Moment étonnant de vérité et d’impasse lorsque les deux apprentis tueurs, Yolande Moreau et Bouli Lanners, débarquent sur l’île de Jersey pour achever leur contrat : c’est alors en effet que leur quête de patron à rencontrer physiquement, puis à exécuter, bute sur de simples rangées de boîtes aux lettres de sociétés. A l’image de son entreprise, le patron est délocalisé…
Les Noces Rebelles de Sam Mendes réunit et disloque le couple mythique du mythique Titanic. Il n’est plus question de faire chanter ici à Céline Dion de niaises bluettes promptes à faire monter le taux de sucre des diabétiques. Au contraire. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, se plaisent et se mettent ensemble sur un malentendu. Au lieu d'un bateau, c'est un couple qui coule... C’est formidablement interprété et mis en scène. Kate Winslet est extraordinaire en femme américaine qui reporte rêves et ambitions sur un homme peu apte, et au fond peu désireux de les porter. Juste également, Leonardo DiCaprio est ce type fanfaron qui ne se sait pourtant pas d’autre destin que celui de son père : travailler dans la même boîte que lui, et ce sera tout, merci monsieur. Et cela finit mal, comme un American Beauty des années cinquante, dans lequel l’entourage, professionnel et privé, se coule et se pétrifie dans un conformisme morbide, incapable de comprendre un seul instant le tragique de ce couple que tous idéalisent en un modèle, alors que ce n’est qu’une image, celle du vide – qui pourrait s’ouvrir sous leurs pieds.
Les Plages d’Agnès sont une œuvre magnifique d’Agnès Varda, toujours jeune. Il y a dans ce film un amour du cinéma, et plusieurs cinémas dans ce cinéma. C’est inventif, c’est jeune, c’est drôle, c’est formidable. Expérience à vivre. Après avoir vu un film-testament de cette envergure, on peut mourir tranquille. Ou mieux : retourner vivre, après cette très belle cure de jouvence.
Je finirai sur Slumdog Millionnaire du Britannique Danny Boyle, que je suis allé voir hier au soir. J’en reviens avec des sentiments ambivalents : s’il procure un véritable plaisir (on s’attache aux personnages, on frissonne avec eux…), il est d’une rare laideur (photographie, cadrages, rythme clipesque, musique envahissante et tonitruante). En dépit d’une histoire honnêtement racontée qui prend le spectateur à la gorge, tout est filmé avec une esbroufe, un sens du tape-à-l’œil exceptionnels. Le réalisateur nous dit : regarde un peu ce plan, coco, je filme des taudis indiens, je montre des ordures, mais je n’oublie jamais de faire bouger ma caméra pour dire aux jeunes de ne pas zapper, et en bonus, je montre toujours le petit détail qui fait joli dans un recoin de l’image. Ouais, vise un peu ce linge bleu sur fond d’ordures, vise un peu le chien filmé en contre-plongée comme dans les clips de Duran Duran… Tout le contraire du classicisme de Eastwood (cf L’Echange), tout l’inverse de l’inventivité pleine de jeunesse d’Agnès Varda (cf Les Plages d’Agnès). Voilà un film qui veut faire jeune, et qui affichera les rides précoces de sa vieille peau très, très vite.