dimanche 27 janvier 2008

Le ciné en hiver... certains l’aiment chaud !

En décembre et en janvier, il y a eu encore du cinéma, et je vais essayer de vous résumer un peu tout cela.

Il faut savoir qu’un des films les plus palpitants de ces dernières semaines est certainement An American Gangster de Ridley Scott. Presque « à l’ancienne », ce film retrace assez sobrement, mais de façon très captivante, l’ascension et la chute d’un gangster afro-américain, par ailleurs très bon père de famille, qui importait de l’héroïne en pleine guerre du Vietnam. La reconstitution du New York des années 70 est remarquable sur fond d’excellente bande-son « soul », et le film est porté par des comédiens excellents et investis (Denzel Washington dans le rôle du parrain black qui ne cille jamais et qui recherche la discrétion absolue, Russel Crowe en flic intègre et acharné qui se met à dos des équipes de police pourries jusqu’à la moëlle). Détail amusant (si j’ose dire) : le parrain black Denzel Washington est très dans l’air du temps ; il croit au travail, à l’intégrité, à la famille (quoique il n’hésite pas une seconde à aller dézinguer un type entre deux discours bien sentis sur les valeurs). Façon intéressante et définitive de montrer, si l’on en doutait, que la mafia est un univers très conservateur, et que la défense des valeurs traditionnelles n’est pas forcément contradictoire avec la prééminence d’intérêts qui piétinent les gêneurs… Bref, société parallèle, les gens de la mafia relaient le discours des politiques officiels. Ce n’est pas forcément très rassurant, mais cela n’empêche pas de passer un très, très bon moment avec ce film d’un très grand artisan.

Elizabeth l’âge d’or est le prétexte à voir représentée au cinéma une période peu connue : l’époque élisabethaine (la fin du 16e siècle anglais). Et donc, c’est l’occasion de voir l’Invincible Armada espagnole attaquer, et de constater que Cate Blanchett reste digne, voire excellente, en toutes circonstances. Cela fait peu… Pour le reste, pas plus désagréable qu’un feuilleton ayant pour héros Lassie ou Rintintin, une œuvre hagiographique (le réalisateur est manifestement tombé amoureux de sa reine !) et caricaturale (l’Angleterre protestante donne l’impression d’être le paradis de la tolérance, l’Espagne catholique le summum de la folie fanatique) qui risque d’induire en erreur quiconque n’a jamais rien lu sur une époque présentant des situations et des enjeux tout de même un peu plus contrastés.

Beaucoup plus intéressants et plus consistants, on s’en doute, sont La visite de la fanfare et California Dreamin', qui présentent des situations parallèles, à savoir : des individus égarés dans un lieu improbable (une fanfare égyptienne dans un bled israélien pour le premier, un convoi américain de l’OTAN bloqué dans un village roumain pour le second). Humaniste, émouvant, La visite de la fanfare fait passer un message de tolérance bourré de charme et de moments poétiques à la Tati. Sans doute une utopie, mais de ces utopies utiles qui aident à envisager un avenir au-delà de la guerre. Avec un casting incroyablement juste au service de cette belle histoire, et notamment le superbe duo de Ronit Elkabetz (Dina) et de Sasson Gabai (Tewfiq). A ne pas manquer !

Œuvre posthume de Cristian Nemescu, cinéaste apparemment très doué et hélas prématurément décédé, California Dreamin’ montre comment un convoi ferroviaire transportant des militaires de l’OTAN en route pour les Balkans en 1999 est bloqué par le chef de gare d’un coin perdu. Film à la fois drôle et pathétique, il raconte l’entêtement absurde du chef de gare, nous montre le grand bazar de la société roumaine post-communiste, et nous donne un point de vue sur la politique étrangère américaine, capable de déclencher des guerres civiles, grandes ou petites, partout où elle intervient. Et c’est un peu le schéma de La visite de la fanfare, sauf que c’est la visite de l’OTAN !

Le nouveau Ken Loach est une nouvelle radiographie sociale, avec une histoire d’esclaves recrutés dans les pays de l’Est pour travailler en Angleterre en qualité d’intérimaires – déclarés, pas déclarés, ça dépend, ça dépasse !–, et une formidable actrice incarnant le personnage central, l’ancienne exploitée devenue exploiteuse (belle ambivalence de ce beau personnage qui permet au film d’éviter une empathie sinon immédiate). Et comme souvent chez Ken Loach, la vérité des comédiens, l’aspect « documentaire » (parce que rigoureusement documenté), l’intensité du jeu. Tout cela donne un grand film politique sur le cynisme du « travailler plus pour gagner plus » et sur la flexibilité de nos sociétés occidentales. Il démonte aussi ce mensonge du libéralisme qui consiste à dire que tout le monde peut accéder en haut de la pyramide ; sauf que, par définition, une pyramide n’ayant qu’un seul sommet, certains doivent servir de chair à pâté… Comment ça, It's a Free World ? Incroyablement d’actualité.

Enfin, certains l’aiment chaud, le ciné de l’hiver, avec cette très prenante et très brûlante histoire d’infiltrée : je veux parler de Lust, Caution de Ang Lee. L’infiltrée, c’est une jeune femme, Wong (jouée par Tang Wei, nouvelle venue au cinéma), qui devient la maîtresse d’un chef de police passé au service de l’occupant japonais dans la Chine des années 40, monsieur Yee (l’extraordinaire Tony Leung de retour de In the Mood for Love). Jeu de masques, jeu de dupes, jeu de mains et jeu de vilains, jeu tout court (le mah-jong chinois et le théâtre) : ce film à gros budget nous montre comment, dans un Shanghaï incroyablement reconstitué, la ravissante créature, membre d’un réseau de résistants essayant d’abattre le traître, entame une relation en eaux troubles, dissimule et simule jusqu’au moment forcément fatal… Les sentiments l’emporteront-ils sur la raison dans cette romance d’espionnage ? A vous de le découvrir sur le plus grand écran possible, mais attention, ce romanesque Lotus Bleu est brûlant : In the Mood For Love, certes, mais jamais sans mon fouet ! Enfin, sachez qu’une star est née, avec cette émouvante Tang Wei capable de changer de comportement avec une grande aisance et dont Libé écrivait récemment qu’elle faisait presque passer Gong Li pour un cageot – un comble !