samedi 15 décembre 2007

Les portugaises de Soeur Mary-Bernard

Du sadisme en Amérique...
Au fait, avez-vous jamais lu La religieuse portugaise d'un nommé Guilleragues, l'histoire de cette religieuse (... portugaise, bien entendu) qui se consume d'amour en plein 17e siècle pour un amant français et se répand dans une série d'échanges épistolaires à sens unique sur cette passion qui la dévore ? Et avez-vous succombé aux délices de Desperate Housewives, cette série pétillante qui dézingue l'Amérique des banlieues chics aux pelouses impeccables ?
Le rapport de l'un avec l'autre, me direz-vous ? Quelque chose de dévorant aussi, et qui fiche un peu les jetons. Dans la deuxième saison de Desperate nous arrive, alléluia, Soeur Mary-Bernard... Oui, Soeur Mary-Bernard ! Soeur Mary-Bernard, jeune nonne angélique (elle est blonde comme les blés et affiche un regard bleu azur), et pourtant authentique graine de démon. C'est que ma Soeur exerce son apostolat dans la paroisse de Carlos et de Gabrielle Solis, et son emprise sur le mari... au grand dam de l'épouse (qui pourtant s'y connaît en matière de péché, les fans comprendront). Telle une mante, euh, religieuse, Soeur Mary-Bernard possède ce dernier. Enfin, elle le tient, quelque part. Encore qu'on puisse avoir du mal à démêler à quel niveau se situe la possession (religieux, spirituel, psychologique, moral...), ni surtout qui est actif dans cette possession (la vilaine nonne est-elle active, le mari se contente-t-il d'être passif, mystère). A défaut de se consumer d'amour, si ce n'est peut-être pour Dieu (encore que...), notre Soeur Mary-Bernard se sert de ses portugaises à elle pour habilement manipuler Carlos Solis, le brave homme étant, il faut bien le dire, un peu à la déroute...
Vous avez envie de vous flanquer une petite frousse ? Vous êtes en manque de frissons ? Revoyez le premier échange entre Gabrielle Solis et la Soeur. Gabrielle Solis demande à la religieuse de cesser de tourner autour de son mari. Telle une créature maléfique, la bonne soeur fait comprendre à Gabrielle (et au spectateur, glacé) qu'elle et son mari l'auront longtemps sur le dos. La charmante Gabrielle tente de l'effrayer en menaçant de lui casser la figure. Et voici que l'affreuse bonne soeur lui répond, dans un sourire qui vous fait longtemps froid dans le dos : "Chiche !". Brrrr...
Que voulez-vous que je vous dise après tant de sadisme de la part de cette religieuse hors norme, qui dépasse en effroi toutes les mariolades libertines du marquis de Sade, et qui renvoie la malheureuse religieuse portugaise à ses courriers tout torchonnés du 17e siècle, imbibés de pleurs...


Ciné novembre : faut que ça danse !

Au cours du mois de novembre, comme souvent, nous sommes allés régulièrement au cinéma et avons déniché quelques merveilles, qui vont du bon cinoche au chef-d'oeuvre en passant par un coup pour rien (ou presque).

Eliminons le Coppola (L'homme sans âge). Quand on a aimé et admiré des monuments qui s'appellent la trilogie du Parrain, Apocalypse Now, etc., ce film est une vraie déception. Attention, ce n'est pas le mauvais film de n'importe qui, c'est le ratage d'un grand cinéaste qui a beaucoup d'idées mais les entasse dans un kitsch vite étouffe-chrétien. Au début, on a envie d'y croire, à cette histoire d'un homme, frappé par la foudre, qui rajeunit et remonte le cours du langage (sumérien, babylonien, sanscrit, et tutti quanti) via une femme rencontrée en cours d'aventure. Puis, le carton-pâte et le grand-guignol prennent le dessus, avec des effets dignes du cinéma-bis et les crises linguistico-draculesques de la jeune femme... Coppola s'est-il vu dans le rôle du vieillard qui redevient jeune homme ? Le problème, comme je l'ai lu ailleurs, c'est qu'il affiche des naïvetés qu'un vieux singe comme lui ne peut plus se permettre. En guise de lot de consolation, la nouvelle de Mircea Eliade est sans doute plus réussie.

Rien de tel pour être gentiment emmenés en bateau que le plus que sympathique Heure Zéro de Pascal Thomas, qui lorgne ici du côté de Chabrol, mais sans la cruauté sociale de ce dernier. Sachez simplement que ça ressemble à une partie de Cluedo (un peu foutraque, certes), que Laura Smet en allumeuse hystérique et bourrée de caprices est prodigieuse, que Danielle Darrieux en vieille tante opiomane qui se fiche un peu de tout est grandiose, que les décors sont superbes et fascinants, et qu'on s'amuse bien... Bref, c'est du plaisir de cinéma, et ce n'est déjà pas mal. Un grand moment à découvrir : une manière incroyable de dire adieu à un défunt signée Danielle Darrieux.

Le cru Woody Allen 2007 est un grand cru, avec Le Rêve de Cassandre. C'est une sorte de tragédie grecque implacable, dont l'action se situe dans l'Angleterre contemporaine. L'histoire peut a priori se résumer en une phrase : deux frères du milieu ouvrier confrontés à des soucis matériels assez triviaux commettent un crime. Mais c'est la manière dont la tragédie s'enclenche qui est passionnante. Des critiques l'ont confronté aux oeuvres de Hitchcock, ou de Mike Leigh, paraît-il plus à leur aise dans les mêmes milieux sociaux anglais et plus pertinents, et ils ont conclu à quelque chose d'inférieur à ces modèles... Possible. Nous, nous l'avons trouvé captivant, tellement on voit ces deux frères, très bien incarnés, trébucher, à petites enjambées et en se berçant de rêves de grandeur, vers un destin funeste.

Faut que ça danse de Noémie Lvovsky est un film absolument réjouissant, bien que ressemblant au premier abord à un très grand bazar. Comme quelques grands films, il est difficile à définir, entre tragédie et comédie, burlesque et mélancolie. Jean-Pierre Marielle en vieil homme qui refuse de ne plus être jeune, et qui est juif quand ça lui chante, est égal à lui-même : grand. On nous dit des choses extraordinaires sur la difficulté de grandir, d'assumer le passé, qu'il soit collectif ou personnel... Un film à la fois drôle et grave, doté de scènes incroyables et jamais vues ailleurs (le rêve sur Hitler en dessin animé, Marielle enfermé dans un tank au Musée de l'Armée...).

Finissons sur une vraie beauté, visuelle et morale : De l'autre côté de Fatih Akin. C'est un film qui voyage entre Allemagne et Turquie, un film sur les frontières infranchissables, sur la mort de quelqu'un, la mort de quelqu'un d'autre, avec une Hannah Schygullah bouleversante - et un film parfait sur le pardon. Entre autres moments superbes, la fin du film parvient à nous faire partager le sentiment d'apaisement du héros. Tout le monde sait combien il est difficile de montrer l'émotion et la tendresse sans virer dans la sucrerie nunuche, et là, ce n'est ni plus ni moins que la grâce qui nous tombe dessus. S'il ne faut voir qu'un film, c'est sans doute celui-là !